Le «Christ païen» , c'est de la science-fiction!
L'auteur rappelle que la découverte des manuscrits de la mer Morte et de Nag Hammadi et, récemment, le fameux Évangile de Judas (photo) n'apportent rien de sensationnel, mais permettent de comprendre les commencements du christianisme.
Photothèque Le Soleil
Louis Painchaud
Professeur titulaire
Faculté de théologie et de sciences religieuses
Université Laval
À propos de la fabrication du mythe chrétien et du «Christ païen» de Tom Harpur, RDI a diffusé, le lundi 31 mars dernier à 20h, dans sa série Grands reportages, une émission consacrée au livre de Tom Harpur, The Pagan Christ*. S'il faut saluer une initiative qui veut nourrir la curiosité religieuse des téléspectateurs, il est regrettable que l'on prête voix à la science-fiction dans une telle série, plutôt que d'à la véritable recherche scientifique.
La formation du christianisme et la fabrication du mythe chrétien sont en effet de mieux en mieux étudiés, en particulier grâce à la riche moisson que le XXe siècle a fournie en nouveaux textes, les manuscrits de la mer Morte et de Nag Hammadi et, récemment, le fameux Évangile de Judas. Ces découvertes n'apportent rien de sensationnel, mais permettent de comprendre les commencements du christianisme.
Raisonnements simplistes et faussetés
Or, Harpur est complètement étranger à cette recherche historique et se contente d'enfiler raisonnements simplistes et faussetés. Imaginons un historien affirmant que nos ancêtres mangeaient des chats au dessert en donnant pour preuve la similitude des mots «gâteau» et «gato», qui signifie chat en espagnol. C'est ce que fait Tom Harpur.
Ainsi, Harpur veut pour preuve d'un Christ égyptien, les lettres KRST trouvées sur des tombes égyptiennes des siècles avant le Christ. Mais ces lettres signifient «sépulture» et n'ont rien à voir avec le mot grec christos, qui signifie «oint», celui qui a reçu une onction, et qui traduit le mot hébreu messiah, que l'on rend en français par messie. La similitude KRST et Christos est donc comparable à la similitude des mots gâteau et gato.
Harpur voit dans la similitude des noms de Matthieu, le rédacteur du deuxième (Évangile) et de la déesse égyptienne Maât, un autre indice de l'origine égyptienne de la croyance au Christ. S'il se trouvait un hurluberlu pour affirmer que René Lévesque a fait ses études à Bishop's parce qu'il s'appelle Lévesque, personne ne le prendrait au sérieux. Ces preuves, et surtout leur quantité, pourront ébranler le lecteur qui n'a pas les notions élémentaires pour les critiquer. Mais une accumulation de mauvaises preuves n'en fait pas une bonne.
Auteurs introuvables, interprétations erronnées...
Harpur manque totalement de rigueur lorsqu'il cite des auteurs anciens. Prétendant que Jésus ne serait pas un personnage historique, il invoque le témoignage de Papias, sans donner de référence précise, qui rapporterait une tradition d'après laquelle Jésus serait mort dans son lit à un âge avancé (p. 186). Papias, évêque d'Hiérapolis en Asie mineure (l'actuelle Turquie) écrivit, vers 130, une œuvre volumineuse, un «Exposé des paroles du Seigneur», qui n'est pas parvenue jusqu'à nous. Nous n'en connaissons que des fragments à travers des citations qu'en ont faites d'autres auteurs. Aucun ne donne prise à une telle interprétation.
Harpur affirme que jamais Irénée, évêque de Lyon à la fin du IIe siècle, n'aurait souscrit à l'existence historique de Jésus, et qu'il aurait même nié que Jésus soit mort crucifié à l'âge de 33 ans (p. 212). Là encore, il ne cite pas Irénée. En fait, il est facile de retrouver ce passage qui prouve exactement le contraire de ce que veut lui faire dire Harpur. Il s'agit d'un extrait d'une œuvre intitulée «Contre les hérésies» (II, 22, 4), dans lequel Irénée veut montrer que Jésus a sanctifié tous les âges de la vie : «C'est en effet tous les hommes qu'il est venu sauver par lui-même (…) nouveaux-nés, enfants, adolescents, jeunes hommes, hommes d'âge. C'est pourquoi il est passé par tous les âges de la vie, en se faisant nouveau-né (…), enfant (…), jeune homme (…), homme d'âge (…). Finalement, il est descendu dans la mort…».
Un tel texte, démontre bien que, pour Irénée, Jésus fut bel et bien un personnage qui a réellement existé. D'autre part, il ne dit nullement ni même ne suggère que Jésus ne soit pas mort à 33 ans, puisque cet âge est déjà celui de la maturité, ce que signifie l'expression «homme d'âge». D'après Harpur, dans ce passage, «le bon évêque affirme que Jésus ne fut pas crucifié à l'âge de 33 ans» (p. 213)!.
Une thèse qui ne tient pas la route
La thèse de Harpur peut se résumer à deux propositions : tout était déjà écrit en Égypte bien avant le début de l'ère chrétienne d'une part et, d'autre part, Jésus-Christ est une figure mythique qui n'a jamais eu aucune réalité historique. Ce qui précède donne un aperçu des arguments fallacieux sur lesquels il construit cette double thèse. Quant aux auteurs sur lesquels il s'appuie, principalement Alvin Boyd Kuhn pour le domaine biblique et Gerald Massey pour l'égyptologie, qu'il considère comme des génies, ce sont deux personnages qui n'ont aucune reconnaissance dans les milieux scientifiques auxquels ils sont censés appartenir et leurs livres sont introuvables.
Bref, Harpur se réfère à des auteurs anciens sans les citer, leur prête des propos qu'ils ne tiennent pas ou leur fait dire le contraire de ce qu'ils veulent dire. Il enfile les étymologies et les rapprochements de mots les plus fantaisistes, prête une grande autorité à des auteurs modernes qui ne jouissent d'aucun crédit scientifique. Ce livre est un exemple flagrant du pire manque de rigueur que l'on puisse imaginer.
La vérité enfin dévoilée?
Comment expliquer qu'un tel livre connaisse autant de succès et qu'une émission comme celle que nous a proposée RDI ait autant de retentissement? Sans doute parce qu'on joue sur l'idée fortement ancrée dans une grande partie de la population selon laquelle les instances politiques, scientifiques, militaires ou religieuses cachent la vérité. D'après Harpur, en effet, l'Église et les élites religieuses auraient caché la vérité aux croyants depuis des siècles, mais lui, il vient enfin la révéler à tous dans un livre abordable, les délivrant de l'erreur et de l'aveuglement où ils sont enfermés.
Afin de donner plus de poids à ses affirmations, Harpur désigne ses opposants comme étant les ultra-orthodoxes, les littéralistes, les traditionalistes, les conservateurs. En se positionnant ainsi comme l'adversaire de ces tendances, qu'il ne précise pas autrement, il suggère implicitement qu'il est l'allié des modernes, des scientifiques, progressistes, des libéraux. Il n'en n'est rien. Nul historien, nul bibliste, nul anthropologue, nul égyptologue, nul théologien ou spécialiste des religions le moindrement sérieux, même libre penseur, ne défendra jamais un livre comme celui-là, qui n'est en fait qu'un tissu d'absurdités.
Reste cependant que le livre de Harpur met en lumière un problème bien réel. En effet, s'il connaît du succès, c'est que la culture religieuse générale laisse beaucoup à désirer et que même si la recherche scientifique sur les commencements du christianisme a connu des progrès considérables au cours des dernières décennies, les résultats de ces recherches atteignent peu le grand public. Né dans le creuset des espérances messianiques du peuple juif cherchant à se libérer de l'occupation romaine, le grand récit chrétien de la naissance, de la mort et de la résurrection du Christ s'est transmué en un mythe de salut universel. Il amalgame faits historiques et symboles empruntés aux traditions culturelles ambiantes, juives et non juives, mais le lent processus de fabrication de ce mythe n'a rien à vois avec les réductions simplistes proposées par Harpur
*Le Christ païen. Retrouver la lumière perdue. Montréal. Les Éditions du Boréal, 2005, traduit de l'anglais par Élise de Bellefeuille et Michel Saint-Germain. Préface de Jacques Languirand. 294 pages,