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| Job, Jesus, Satan et Nietzsche par René Girard | |
| | Auteur | Message |
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Etrigan Disciple
| Sujet: Job, Jesus, Satan et Nietzsche par René Girard Ven 26 Sep 2008 - 7:09 | |
| René Girard, Les origines de la culture, page 103 (poche)
« L'anthropologie mimétique consiste à reconnaître la nature mimétique du désir et à développer les conséquences de ce savoir, à innocenter la victime unique, et à comprendre que la Bible et les Evangiles ont fait cela avant nous et que nous nous guidons sur eux pour le faire à notre tour. Pour résumer, le mythe est contre la victime, alors que la Bible est pour. Dans le cas de Job, par exemple, on assiste à une sorte de procès totalitaire et inquisitoire, et les échanges avec les trois « juges » constituent une illustration exemplaire du principe de l'unanimité. Les « amis » de Job essaient de le convaincre qu'il mérite d'être condamné, et de temps à autre, il faiblit, il est prêt à reconnaître qu'il est coupable. Finalement, il se redresse et il affirme : « Je sais, moi, que mon Défenseur est vivant, que lui, le dernier, se lèvera sur la poussière » (Jb 19, 25). le mot « défenseur » est très important et le mot paraclet, qui définit l'Esprit Saint, est lié à ce concept. En grec, parakleitos signifie « avocat de la défense »(1), contre l'accusation formulée par Satan, c'est à dire, étymologiquement, l'accusateur (2). Dans Job, les trois amis sont les accusateurs, donc la voix de Satan. Satan est la voix de l'ancienne religion, de l'ancienne exécution, mais cette voix est contestée par Job. Dans l'ancien ordre sacrificiel, la crise mimétique était résolue par le déclenchement du mécanisme émissaire, qui polarisait toute la violence sur une seule victime. Ceux qui accusent la victime sont les représentants de Satan, l'accusateur, tandis que le Christ est la voix du Défenseur, qui nous avertit : « Que celui d'entre vous qui est sans pêché lui jette le premier une pierre ! » (Jn 8, 7). toute la différence entre l'archaïque et le judéo-chétien tient dans ces attitudes opposées. Je ne fais que répéter ici ce qu'a dit Nietzsche, mais dans un tout autre esprit. Lui, a pris le parti des persécuteurs. Il croit penser contre la foule. Il ne voit pas que l'unanimité dionysiaque est la voix de la foule. Il suffit de prendre les Evangiles à la lettre pour voir que le Christ n'a guère qu'une douzaine d'apôtres de son côté, et que même ceux-là vacillent. Ce que Nietzsche ne perçoit pas, c'est la nature mimétique de l'unanimité. Il ne saisit pas le sens de l'éclairage apporté par le Christianisme sur les phénomènes de foule. Il ne voit pas que le dionysiaque, c'est la foule et que le chrétien, c'est l'exception héroïque. »
(1)Parakleitos a le sens de « convoqué », « appelé au côté de » ; quelqu'un qui plaide la cause d'un autre devant un juge, un plaidant, un conseiller de la défense, un assistant légal, un avocat. Le Christ est un paraclet dans son élévation à la droite de Dieu, car il plaide auprès de Dieu le Père la rémission de nos péchés. Dans un sens plus vaste, c'est aussi un aide, quelqu'un qui secourt, un assistant. Parakleitos fait aussi référence à l'Esprit Saint qui doit prendre la place du Christ au milieu des apôtres (après son Ascension auprès du Père), pour les conduire à une connaissance plus approfondie de la vérité de l'Evangile, et leur donner la force divine qui leur permette d'affronter les épreuves et les persécutions au nom du royaume divin (Jn 14, 16). (2)Satan, en hébreu, signifie « adversaire », « opposant », traduit par epiboulos (« comploter contre ») dans la Septante ; aussi « accusateur », traduit par ho diabolos (« calomniateur », « médisant ») in Jb 1, 6 Sq., Za 3, 1, | |
| | | Hélène Administrateur
| Sujet: Re: Job, Jesus, Satan et Nietzsche par René Girard Ven 26 Sep 2008 - 8:07 | |
| Très intéressant Etrigan...
Le père Joseph-Marie avait déjà fait une homélie qui touchait ce même thème de la foule anonyme qui tue aveuglément. Les mouvements de foule ne sont jamais très brillants (seule, chacune des personnes qui la compose aurait du scrupule et un peu plus de retenue) et c'est le lieu préféré pour l'adversaire (le satan) d'y jeter son venin pour créer la confusion... ou plutôt pour déconstruire l'ordre. Il partait de l'Évangile où les compatriotes de Jésus à la synagogue de Nazareth veulent le jeter en bas de l'escarpement après qu'il eu lu et s'est attribué le passage de l'Écriture d'Isaïe ("l'onction du Seigneur est sur moi...") qui ne devait faire l'objet d'une lecture et d'un commentaire que par le Messie qui viendrait seulement. Ce mouvement de foule est étonnant car il faut que Jésus passe au milieu d'eux en les regardant dans les yeux un à un pour qu'ils s'arrêtent de leur folie meurtrière. C'est dans le regard personnel de Jésus qu'ils trouvent la paix pour arrêter cette élan de mort qui les pousse à vouloir tuer l'innocent.
C'est un beau thème à explorer...
Hélène | |
| | | Etrigan Disciple
| Sujet: Re: Job, Jesus, Satan et Nietzsche par René Girard Ven 26 Sep 2008 - 8:50 | |
| Ah ? Il les regarde droit dans les yeux ? Tiens, c'est intéressant car dans Je vois Satan..., Girard, en parlant de la femme adultère, souligne que si Jésus reste le regard penché vers le sol à tracer des traits dans le sable, c'est pour éviter de croiser le regard de folie des autres car un simple coup d'oeil aurait été vécu par eux comme une provocation ou pire...
Quant à la scène même à laquelle tu fais référence, Girard souligne qu'on a là un classique des rites de sacrifices. La victime est acculée au haut d'un sommet et la foule l'accule à sauter par sa menace. Personne n'a frappé et la victime est morte presque d'elle même. Ainsi, la communauté a calmé sa haine par la mise à mort de l'un d'entre eux sans que personne puisse être accusé du crime. | |
| | | Hélène Administrateur
| Sujet: Re: Job, Jesus, Satan et Nietzsche par René Girard Ven 26 Sep 2008 - 10:42 | |
| - Etrigan a écrit:
- Ah ? Il les regarde droit dans les yeux ?
Tiens, c'est intéressant car dans Je vois Satan..., Girard, en parlant de la femme adultère, souligne que si Jésus reste le regard penché vers le sol à tracer des traits dans le sable, c'est pour éviter de croiser le regard de folie des autres car un simple coup d'oeil aurait été vécu par eux comme une provocation ou pire... Ah mais le regard de Jésus n'est pas défiant dans la scène à la sortie de la synagogue. Il les connaît ces hommes, c'est sa bourgade. Il a grandi avec eux. Il est le fils du charpentier selon eux et cela les choque qu'il s'attribue la prophétie des Écritures. Ça bouscule leur idée qu'ils s'étaient fait de la venue du Messie...ça dérange surtout le pouvoir qu'ils vont perdre par ce petit rabbi qui attire à lui les foules qui comptent parmi elles les pauvres, les exclus, les pécheurs et les publicains. "Et lui, passant au milieu d'eux, allait son chemin"... il ne les regarde pas avec un regard de colère ou défiant mais avec un regard de compassion. Le regard de Jésus, selon les événements, n'est pas toujours le même. S'il ne regarde pas les pharisiens qui condamnent la femme adultère, c'est peut-être aussi parce qu'il ne veut pas voir le mal : "tes yeux sont trop purs pour voir le mal" nous dit l'Écriture (il faudrait que je retrouve la référence...). Il ne faut pas mettre les interprétations en opposition. Girard contre Verlinde... les deux sont utiles à notre méditation. La Bible n'est pas un livre de mathématique où l'on trouve des réponse toutes faites... Fraternellement, Hélène | |
| | | fil bleu Martyr du forum
| Sujet: Re: Job, Jesus, Satan et Nietzsche par René Girard Ven 12 Déc 2008 - 18:03 | |
| Mais lui passant au milieu d'eux alla son chemin. Luc ne dit pas que Jésus regarde ceux qui sont là. Pendant trois ans Jésus va passer au milieu pour ariver à Jérusalem. Il ne regarde pas, il passe son chemin car ce n'est pas à Nazareth mais à Jérusalem où doit se vivre pleinement dans la mort et la ressurrection le tout est accompli | |
| | | Hélène Administrateur
| Sujet: Re: Job, Jesus, Satan et Nietzsche par René Girard Ven 12 Déc 2008 - 19:02 | |
| Oui, bon, Jésus ne regarde pas tout au long de son chemin pour aller mourir à Jérusalem, c'est discutable. C'est pour ces hommes justement qu'il est venu mourir sur la Croix. Il n'a pas passé son chemin sans regarder personne. Si on entre dans une lectio à la manière d'Ignace de Loyola, on peut très bien imaginer dans les non-dits des Écritures que Jésus regarde ces hommes, qu'il regarde ses interlocuteurs. Enfin, il regarde bien quelque part. Il faudrait faire une étude du regard de Jésus et je suis sûre qu'il y a là, dans cette méditation, un os à gruger longtemps jusqu'à la moelle. Croiser le regard de Dieu, en Jésus, c'est ce qui relève l'Homme. Se laisser regarder par Lui est encore plus difficile que d'oser lever notre regard vers Lui...
Union de prière, Hélène | |
| | | fil bleu Martyr du forum
| Sujet: Re: Job, Jesus, Satan et Nietzsche par René Girard Sam 13 Déc 2008 - 10:02 | |
| Ce passage de Luc est le portique d'entrée de l'oouvre de Jésus et des disciples. La prédication part de la synagoque pour aller au monde entier C'est une composition de Luc pour nous faire comprendre que la mission de Jésus comme celle du disciple se fait sous l'action de l'esprit qu'il y aura le passage par la mort et la resurrection Jésus et le disciple à sa suite n'a pas à ce laisser distraire. Passant au milieu d'eux, il alla son chemin. Bien entendu dans d'autres passages de l'évangile Jésus pose son regard sur les personnes comme sur le jeune homme riche. Jésus posant son regard sur lui, l'aima Mc 10,21 il regarde autour de lui Mc10,23 fixant sur eux son regard Mc10,27 pour Lc le voyant Lc18,24 la rencontre avec Zachée Quand Jésus arriva à cet endroit, levant les yeux, il lui dit: Lc 19,5 Le regard e Jésus sur Pierre aprés son reniement Lc22,61 sur les filles de Jérusalem Jésus se retourna Lc23, 28 C'est ce qui me revient à la mémoire C'est une très riche | |
| | | Hélène Administrateur
| Sujet: Re: Job, Jesus, Satan et Nietzsche par René Girard Dim 14 Déc 2008 - 12:41 | |
| Je ne crois pas avoir parlé d'un regard distrait de la part de Jésus qui l'empêcherait d'aller là où Il a mission d'aller càd à Jérusalem où Il doit souffrir, mourir et ressusciter le troisième jour... :truce:
Penser qu'il a pu regarder ses interlocuteurs avec un regard de compassion en passant au milieu d'eux ne me semble pas pousser le texte même si Luc ne le mentionne pas.
Je comprends bien votre analyse mais la mienne ne se situe pas au niveau exégétique. Elle se situe plutôt au niveau lectio divina personnelle à l'école des moines.
Bien à vous dans le Christ qui vient, Hélène | |
| | | fil bleu Martyr du forum
| Sujet: Re: Job, Jesus, Satan et Nietzsche par René Girard Lun 15 Déc 2008 - 9:37 | |
| Bien sûr, il y a plusieurs regards sur un passage d'évangile et c'est complémentaire . Bonne approche avec beaucoup de fruit dans votre lectio divina | |
| | | jeanlouis13 Nouveau
| Sujet: Re: Job, Jesus, Satan et Nietzsche par René Girard Mar 6 Jan 2009 - 5:09 | |
| René Girard est un de ceux qui m'ont amené à aller vers la Bible, d'une lecture anthropologique de la Bible à une lecture de croyant. Sa théorie du désir mimétique conjuguée à son interprétation de la Bible et surtout des évangiles est particulièrement pertinente à mon sens. C'est un itinéraire vers le Christ qui se passe des miracles. Autrefois, la philosophie nous donnait, de Saint Anselme à Leibniz, des preuves de l'existence de Dieu que Kant appellera "preuves ontologiques", et qu'il détruira d'ailleurs dans la critique de la raison pure, en démontrant que la nécéssité logique n'implique pas l'existence, et donc en séparant logique et existence (ce qui nous parait aller de soi, mais qui était à proprement parler révolutionnaire pour la sensibilité philosophique de l'époque). Ces preuves ontologiques de l'existence de Dieu étaient les seuls véritables ponts entre philosophie et religion, autrement dit, la logique était le vrai lien. Mais depuis cette époque, les sciences sociales et d'entre elles l'anthropologie ont fait des progrés considérables. L'ethnologie, à ses débuts, a voulu assimiler les évangiles à des mythes, en évoquant l'analogie de structure entre ceux-ci et ceux-là. C'est ici que l'anthropologie de René Girard est spectaculaire : elle démontre la singularité absolue, sur le plan anthropologique, des évangiles. Désormais, même l'anthropologue athée et relativiste est condamné à reconaitre cette originalité. Deux aspects de la pensée de Girard peuvent être soulignés : la théorie du bouc émissaire, qui rend la Croix anthropologiquement unique d'une part ; la théorie mimétique en vis à vis du décalogue d'autre part. Je n'ai le temps ici que d'évoquer le Décalogue vu par Girard. On le sait, la théorie mimétique peut s'expliquer ainsi : il y a les appétits (besoins naturels) et les désirs. Seul les désirs sont humains. Or, le désir a une particularité : il est toujours mimétique. C'est à dire que l'objet que nous désirons n'est pas librement choisi par nous, il est au contraire déterminé par ce que notre modèle désire, de sorte que nous désirons toujours ce que l'autre ou les autres désirent. Le désir n'est jamais dans un rapport un-à-un (un sujet qui désire un objet) mais toujours dans un rapport un-à-plusieurs : un sujet veut ressembler à son modèle. Pour ce faire, le sujet imite le désir de ce dernier en désirant le même objet que lui (ou l'objet qu'il s'imagine que celui-ci désire). Cet individu modèle est appelé "médiation". Or, nous pouvons avoir pour modèle un individu aussi bien qu'un archétype comme par exemple l'archétype du chevalier chrétien (avec ses valeurs d'honneurs etc). Aussi, peu importe que le médiateur du désir, i.e le modèle, existe réellement ou non. Ce médiateur peut tout à fait être un "personnage conceptuel". Ainsi, Don Quichotte rêve d'être à l'image des grands chevaliers (qui n'existent plus à son époque), et il agit en imitant l'idée qu'il se fait des désirs de ces chevaliers. Autremnet dit, il agit en imitant les désirs de son modèle qui, en l'espèce, n'est pas un personnage mais un archétype. L'exemple de Don Quichotte est issu de Mensonges romantique et vérité romanesque de Girard. Pour revenir à la bible, René Girard nous montre que la compréhension du désir mimétique est parfaite dans la bible. Ainsi, le décalogue commence par des interdit spécifiques et s'achève, dans le dernier commandement, par l'interdiction de désire tout ce qui appartient à notre prochain. L'envie est ainsi désignée comme le péché par excellence. Toutes les autres lois concernent des interdits spécifiques portant sur des actions, tandis que le dernier concerne uniquement un désir. Le péché, ce serait donc l'envie. Girard en fait l'origine de toute violence, à cause du "double blind" que je n'évoquerai pas ici, faute de temps. Tout ça pour dire que ce qui est passionnant dans Girard, c'est ce chemin qu'il fait faire au profane de la science vers la foi, d'abord en montrant la vérité du désir mimétique, ensuite en montrant sa parfaite compréhension dans la bible, enfin en montrant qu'il n'y a rien de fortuit dans tout cela, qu'un texte aussi long que celui de la bible puisse être tout entier lu à l'aune de la théorie mimétique nous révèle à la fois la vérité théologique de la Révélation à travers sa vérité anthropologique. PAX jean-louis | |
| | | Etrigan Disciple
| Sujet: Re: Job, Jesus, Satan et Nietzsche par René Girard Mer 7 Jan 2009 - 10:16 | |
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| | | | Job, Jesus, Satan et Nietzsche par René Girard | |
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