Ce n'est pas Dieu qui a voulu que ces carmélites meurent, c'est les hommes qui l'ont voulu. Elles auraient pu sauver leur vie en renonçant à vivre comme des religieuses même après la fermeture de leur couvent; elles ont plutôt choisi de continuer pour rester fidèles à leur vocation. En témoignant ainsi de leur foi, elles se sont exposées aux représailles de ceux qui voulaient précisément abattre l'Église à cette époque. Tout le monde n'est pas forcément appelé à témoigner de cette façon, en ce temps-là il y avait aussi des prêtres qui se cachaient au lieu de s'afficher en public, pour pouvoir continuer à donner les sacrements aux fidèles; mais eux aussi auraient pu échapper aux risques en acceptant les contraintes révolutionnaires. Les carmélites de Compiègne me font beaucoup penser aux moines de Tibhirine dont un film qui relate leur drame vient de sortir. La différence, c'est le vocabulaire du 18ème siècle sur le martyre et la justice divine, qui sonne mal à nos oreilles d'aujourd'hui; mais au fond c'est la même chose, le même engagement malgré la faiblesse humaine.
J'ai lu Dialogues quand j'étais adolescent, je me rappelle très bien en avoir été profondément impressionné, et en même temps je sentais qu'il y avait quelque chose qui m'échappait dans ce texte, comme s'il y avait quelque part du non-dit, des mots entre certaines lignes; je l'ai relu à quelques reprises au cours des années, sans être jamais sûr d'avoir tout saisi; et puis j'en ai vu une représentation au théâtre, et deux dans la version opératique de Poulenc; rendu là, c'était le contraire, j'avais toujours le sentiment après coup que ce qu'on me montrait ne rejoignait pas l'impression profonde que mes lectures m'avaient laissée. Bizarre, non? (En fait, ni la version théâtrale, ni le film, ni l'opéra ne reproduisent entièrement le texte de Bernanos.)