Le jour d'octobre où il est apparu pour la première fois sur les marches de Saint-Pierre, un grand crucifix planté devant lui, lorsque ses premières paroles, "Non abbiate paura" (N'ayez pas peur !), résonnèrent sur la place, à l'instant même tout le monde comprit que quelque chose avait bougé dans le ciel et que Dieu nous envoyait un témoin.
On avait appris qu'il venait de Pologne. J'avais plutôt l'impression qu'il avait laissé ses filets sur le bord d'un lac et qu'il arrivait tout droit de Galilée, sur les talons de l'apôtre Pierre. Jamais je ne m'étais senti aussi près de l'Évangile. Car ce "N'ayez pas peur !" s'adressait au monde où l'homme a peur de l'homme, peur de la vie et de la mort, peur de tout et de rien; mais c'était aussi l'exhortation d'un disciple de l'aube chrétienne à ses frères appelés à témoignage. Et, tandis qu'il parlait, le souvenir du cirque sur quoi Saint-Pierre est bâti remontait sous les marbres.
Ni pour la foule étonnée, le visage levé, ni pour mes voisins, qui pleuraient, ni pour moi, le doute n'était possible: le christianisme sortait une fois de plus de la tombe que le monde croyait définitivement scellée. Ce pape serait celui d'un renouveau chrétien et l'espérance enfuie reviendrait en force parmi nous. Ce ne serait pas un pape traditionaliste, ni même un pape traditionnel, mais un pape d'avant la tradition, de la lignée des premiers apôtres,
De nos jours, qui sont ceux du doute généralisé, du doute sur l'avenir de la science et de l'humanité, l'Évangile nous propose tout simplement la foi, unique remède à la barbarie. Nous traversons une période vide de tout point d'appui moral ou rationnel, où la seule ressource de l'homme qui veut avancer est de marcher sur les eaux : l'homme de foi qui est à Rome est de ceux qui ne craignent pas de répondre à l'appel qui vient de la barque du Christ: "N'ayez pas peur !" dit-il, et sa voix porte.
De même, lorsque Jean-Paul II s'écrie: "Loué soit Jésus-Christ !", l'expression cesse d'être une banalité rituelle pour découvrir l'exclamation d'une découverte. Cette faculté de ressusciter les mots est l'apanage des poètes, des mystiques et des apôtres du Christ.
Les peuples, en ce domaine, ne s'y trompent pas, car en ce domaine, ils ont l'oreille musicale...
(André Frossard)