Je suis occupé de lire (de nouveau) le parcours de Simone Weil, depuis la tristesse mortelle qui l'avait saisie au cours de sa quatorzième année, lorsqu'elle se dit n'avoir "aucun accès" au "royaume de la vérité". La vérité lui paraît réservée aux seuls hommes "authentiquement grands", seuls capables d'y entrer - autrement dit: aux génies.
Mais après avoir oscillé longtemps entre la contemplation morbide de sa propre médiocrité et celle de la vérité, merveilleuse mais inaccessible étoile, une première lueur d'espoir lui parvint : "Après des mois de ténèbres intérieures, j'ai eu soudain et pour toujours la certitude que n'importe quel être humain, même si ses facultés intellectuelles sont presque nulles, pénètre dans ce royaume réservé jusque-là aux génies, si seulement il désire la vérité et fait un effort perpétuel pour l'atteindre."
A ce moment, si Simone Weil (photo en bas de page) avait pu ouvrir un évangile, peut-être serait-elle d'emblée sur la réponse de Jésus à Pilate : 'Je suis roi. Je suis né et venu dans le monde afin de témoigner de la vérité. Quiconque (est de) (cherche) la vérité, entend ma voix'.
De mon point de vue (mais je ne suis pas juive d'origine athée), il m'est très facile de reconnaître le don de Dieu dans le désir de trouver la vérité. Car ce désir m'a littéralement hanté depuis la fin de mon enfance jusqu'à ma conversion à 29 ans.
Tout y est passé: la vérité par le monde (pouvoir et domination - ce que Simone Weil nomme 'la Pesanteur'); la vérité par les philosophes (jusqu'au moment où j'ai découvert que les Grecs désignaient aussi la vérité par 'applaudimètre' - le meilleur orateur énonçant forcément la vérité !); ensuite la vérité par la morale (et là je fus proche, mais la distinction des catégories de bien et de mal ne rendait pas compte de la justice. Ensuite, je fus proche de la vérité par l'abandon-même que je fis de mes facultés de la saisir, c'est-à-dire : la reconnaissance de mon impuissance à la trouver par moi-même.
A cet instant-là, je fus véritablement proche de la mort, comme si, insensiblement, à force de chercher, je m'étais dépouillé des armures de l'ego et comme si, encore, j'étais entré dans une sorte de 'No man's land' (*) où l'air s'était fait rare et la respiration de plus en plus pénible.
"Quiconque est de la vérité entend ma voix", dit Jésus. Mais on ne découvre la vérité qu'à force de dépouillements. Pour avancer vers elle, il faut, comme un voyageur trop chargé, abandonner de plus en plus de fausses certitudes qu'on avaient crues, pourtant, indispensables pour la marche.
Et à un instant donné, tel que l'a vécu Simone Weil qui rapporta l'événement en termes très simples ('Jésus est descendu et m'a saisie'), la vérité m'est apparue, tout entière, dans une onde de joie pure, mais pas seulement comme un concept, mais comme un surcroît de vie, et de vie jaillissante, dans la personne de Jésus-Christ ressuscité...
(*) Un no man’s land est une zone inter-frontalière. C'est une expression anglophone signifiant littéralement « terre d'aucun homme »
Photo de Simone Weil: