Rencontre avec une femme battue

boisvert a écrit:

[color=indigo]Je viens d'avoir la visite, en boutique, d'une femme d'une quarantaine d'années, prénommée Karine, qui est venue me raconter ses malheurs. Femme battue, qui hésite encore a quitter son "ami", car elle ne sait pas dire si elle mérite ou non d'être "corrigée" de coups de pieds dans la figure ! ... Au bout d'une heure et demie d'écoute, je suis quand même parvenu à lui faire comprendre qu'elle est tout simplement en danger de mort. Après ce tabassage à coups de bottines, elle a un os du visage cassé (sa figure, sous l’œil gauche, en garde la trace)... mais j'ai insisté jusqu'à la convaincre que par le même coup de pieds lancé au hasard,elle aurait pu tout simplement avoir la nuque brisée.

J'ai travaillé durant 6 ans dans une maison d'hébergement pour femmes immigrantes victimes de violence conjugale et c'est hélas très courant qu'elles pensent qu'elles le méritent. Le conjoint violent la faisant toujours passer pour coupable de ses sorties violentes. C'est ce qu'on appelle le cycle de la violence conjugale :

- montée de la violence/tensions
- décharge de la violence
- rémission / demande de pardon / excuse / bouquet de fleurs
- lune de miel : "finalement il m'aime", "j'ai aussi ma part", etc.

Puis ça recommence comme une spirale sans fin : montée de la violence, décharge de violence, rémission, lune de miel... jusqu'à ce que la personne soit anéantie, ait perdu sa dignité, soit morte...

Personne ne mérite de subir la violence conjugale. Il est difficile d'admettre que la personne violente ne changera pas (à moins d'un choc important : conversion, thérapie, etc.) et qu'il vaut mieux sortir de la situation. Ce n'est pas la victime qui provoque son bourreau. C'est le bourreau qui veut contrôler sa victime. Quoi qu'elle dise ou fasse, il trouvera toujours une raison pour avoir été violent (je dit "il" mais ça peut exister chez un sexe comme chez l'autre... les statistiques nous disent hélas que c'est plus souvent la femme que l'homme qui en est victime mais c'est aussi présent à l'inverse sauf que ça prend une autre forme : plus psychologique).

Merci de l'avoir écouté de tout votre coeur... cela sera réconfortant et un baume pour elle de savoir que tous les hommes ne sont pas comme son bourreau, qu'elle peut espérer en l'homme. Mais qu'elle doit avant tout prendre conscience de sa dignité, oser sortir de cette situation qui risque de la tuer à petit feu, sinon physiquement, psychiquement.

Fraternellement,
Hélène

Je ne peux que confirmer tout ce qui a été écrit par vous deux. Oui Boisvert, elle est bien en danger de mort, les statistiques sont hélas implacables dans leur confirmation de ce fait. Et bien entendu, Hélène à parfaitement raison de situer la problématique dans une optique de conscience personnelle de sa propre dignité. C'est la seule issue pour elle, comme pour son "ami", qui est bien malade lui aussi, de cette ignorance qu'il a de ce qu'est l'Autre, et de cette incapacité à exprimer son mal être autrement que par une violence externe.

Il est en effet essentiel que cette femme sache qu'elle peut compter sur votre écoute et votre humanité, mais il est tout aussi essentiel qu'elle cherche de l'aide pour elle-même. Et une aide "officielle", c'est à dire professionnelle. Quelqu'un dont la fonction, dont la mission sera de l'aider à clarifier sa propre histoire, et ce qui l'a amenée à ce non sens relationnel qui pourrait fort bien la tuer. Cette posture claire et externe du thérapeute, sans la moindre intrication sentimentale ou émotionnelle, est la seule qui pourra lui permettre à elle de démêler ce qui est noué et intriqué en elle. Si elle n'y pense pas seule, il faut lui suggérer cette voie, qui n'empêche pas, non plus, un suivi et un soutien spirituel.

Merci pour ces avis. Pour l'instant, rien ne dit que je reverrai cette femme, rencontrée parmi un groupe d'autres jeunes, il y a ... près de vingt-cinq ans. La question du thérapeute risque de poser un problème financier, à moins qu'elle soit en ordre de mutuelle et que celle-ci prenne en charge les consultations.

Au cours des trois années qui ont suivi ma conversion, en 1985, le Seigneur m'a réellement fait rencontrer une trentaine de jeunes en difficultés, qui sortaient de maisons d'accueil; les uns et les autres s'y étaient retrouvés après un drame familial. A leur majorité, ces maisons les relâchaient avec un petit pécule en poche et ils découvraient (certains en parfaits innocents !) la vie dans le monde. Pour les assister, j'avais le soutien d'un assistant social et d'une association pour la jeunesse en péril... mais toutes ces aides ont disparu.

Néanmoins, il ne faut certes pas désespérer et dire que c'est cause perdue. De toute manière, bien conscient qu'il s'agissait hier, de la part de cette femme, d'un appel au secours qui a dû lui coûter beaucoup sur le moment, je l'ai mise dans ma prière et je verrai ce que je peux faire. Merci de m'accompagner dans la prière car, à cinquante-cinq ans, je n'ai plus la force qu'il faut pour prendre en mains comme autrefois certaines situations délicates...

Cher Boisvert,

vous pouvez compter sur ma prière.

Après, je n'ai pas bien compris : vous avez rencontré cette femme il y a 25 ans? Que cette histoire date ou qu'elle soit contemporaine, voici quelques pistes relatives à l'aide thérapeutique pour cette jeune femme ou une autre :
- Un vrai et bon thérapeute doit normalement s'adapter à la situation, y compris financière, de son patient. Si elle connaît quelqu'un (ou bien vous) à même de l'accompagner, cette question peut être abordée sans soucis.
- Une piste parfois utile est celle du médecin traitant de la personne : si elle a une relation de confiance avec son généraliste, et si c'est un bon médecin de famille, il peut sans doute l'aiguiller vers de l'aide.
- Et bien entendu, les associations spécialisées sont autant de ressources gratuites et efficaces face à ce type de cas.

Le souci, c'est qu'avec le peu d'éléments à disposition, nous pouvons déjà poser un diagnostic pessimiste : il ne s'agit pas d'une gifle, mais de l'emploi d'un objet dans le but de faire mal... une arme, en somme, même s'il s'agit d'une bottine. A bout de bras et en fin de course, un objet de 200g plus lourd l'aurait sans doute tuée. D'autant qu'il a frappé au visage et qu'il y a déjà eu des conséquences graves (os brisé) et visibles. Le cercle vicieux du mensonge social s'est donc déjà mis en place pour couvrir la triste réalité des faits vis à vis du personnel de l'hôpital et en général, des gens dans la rue et des amis. D'ou l'absolue nécessité de briser ce cercle par une intervention externe spécialisée. Et rapide.

DamienH a écrit:

Cher Boisvert,

vous pouvez compter sur ma prière.

Après, je n'ai pas bien compris : vous avez rencontré cette femme il y a 25 ans?

A l'époque, ni Karine, ni ses frères ne rencontraient de grandes difficultés. C'est seulement qu'ayant été assistés jusqu'à leur majorité, ils se retrouvaient dépourvus, ignorant les "règles du jeu" social. L'un des frères avait été élevé dans une famille de fermiers. Le patron de la ferme recevait chaque mois une somme versée par l'Etat, pour son éducation - mais il s'agissait plus d'exploitation que d'éducation. Le garçon devait se lever avant tout le monde pour traire les vaches, on ne le logeait pas dans la ferme avec les autres enfants, mais y compris en hiver, il ne disposait que d'une ancienne caravane. Lui était si naïf que lorsqu'il avait été engagé par le fermier voisin pour planter des poteaux de clôture, il n'avait pas voulu se faire payer car il disait: "Si c'est pour rendre service, je ne veux pas d'argent"... Et dire que c'est moi qui les ai remis "les pieds sur terre" en leur démontrant qu'il fallait devenir plus méfiant ! Ni les uns ni les autres n'ont réellement réussi à sortir des problèmes. Faut-il parler d'atavisme ?

Plutôt de malédiction, au sens populaire : ce sont des cicatrices si profondes, si handicapantes qu'elles deviennent partie prenante de l'individu qui les porte : un peu comme un borgne de naissance n'imaginera pas le monde en vision stéréo. Jusqu'à ce que quelqu'un lui fasse tourner là tête et qu'il puisse prendre conscience de son "angle mort", parfaitement visible car intégré jusque là.
Je dis malédiction car ce type de blessure, de handicap, se transmet par la parole ou par son absence (ce qui revient au même), dans la relation au parents (ou ce qui en tient lieu). en ce sens, on retrouve des schémas transmis de loin en loin dans les lignées... et ceci est amplifié si ceux qui font office de modèle parental (ici, le système de placement et le fermier) abusent du handicap de la victime. En ce sens, on peut presque parler d'une forme complexe d'atavisme psychologique...