Evangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 19,13-15.
On présenta des enfants à Jésus pour qu'il leur impose les mains en priant. Mais les disciples les écartaient vivement.
Jésus leur dit : « Laissez les enfants, ne les empêchez pas de venir à moi, car le Royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent. »
Il leur imposa les mains, puis il partit de là.
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible - © AELF, Paris
C'est bien l'esprit d'enfance dont il est ici question. L'esprit d'enfance à l'égard du Royaume, semblable à l'esprit d'enfance qui nous a tous animés un jour. Il m'est très simple de me souvenir de cet enfant que je fus. J'étais à "la petite école" et lorsque ma mère disait : "Aujourd'hui, c'est le dernier jour d'école avant les vacances !", cela produisait en moi un effet extraordinaire. La liberté, pouvoir faire tout ce que je veux, et pendant deux mois ! Deux mois, dans mon esprit, c'était comme deux ans, c'était comme un temps très, très, très long... je ne savais pas en mesurer la fin. Alors, durant l'été, tout était libre: nous partions en bandes de copains de quartier, vers le merveilleux inconnu que nous appelions "l'exploration". Comment aurions-nous pu faire la différence entre le fils du médecin, le fils du contremaître de l'usine, le fils du professeur et la fille de la patronne du café du coin ? Nous voguions sur la mer, les bras écartés, lorsque nous traversions un champ de blé, car le vent faisait de la houle sur épis et nous étions des Conquistadors; nous allions "à la maraude", aucune barrière ou fil électrique n'aurait pu nous arrêter. Nous nous blessions les genoux à patins à grosses roulettes et devant maman qui se fâchait pour de faux, nous étions fiers de ne pas crier quand çà piquait et qu'elle nous réparait çà. Eh bien, à douze ans, j'avais ce coeur là lorsque j'ai commencé le catéchisme à 7 ou 8 ans (avant 10 ans en tout cas). Je soufflais aux autres : "C'est pas difficile, avec Jésus, c'est toujours l'amour qui gagne !"
Mais cet esprit d'enfance on le perd un jour. On prend conscience de soi, on devient 'moi'. Il y a comme une sortie d'un monde à la Walt Disney. Pour moi, ce fut lorsque j'ai surpris un garçon et une fille enlacés sur le banc d'un parc. Boum, les ennuis commençaient ! Julien Green rapporte ce passage, cette confusion soudaine, cette diminution de clarté :
« L’amour était en moi et autour de moi comme l’air que je respirais. Mais aux alentours de ma cinquième année, il dut y avoir comme une sorte de catastrophe dont le sens m’échappe. A un moment que je n’arrive pas à situer, je me retrouvai de nouveau assis devant ma fenêtre quand j’eus tout à coup la conscience d’exister. Tous les hommes ont connu cet instant singulier où l’on se sent brusquement séparé du reste du monde, par le fait qu’on est soi-même et non ce qui nous entoure. Je laisse aux spécialistes le soin d’expliquer ces choses où j’avoue ne pas voir très clair. Tout ce que je retiens est que, pour ma part, je sortis à ce moment-là d’un paradis. C’était l’heure symbolique où la première personne du singulier fait son entrée dans la vie humaine pour tenir jalousement le devant de la scène jusqu’au dernier soupir. Certes je fus heureux par la suite, mais non comme je le fus auparavant, dans l’Eden d’où nous sommes chassés par l’ange fulgurant qui s’appelle Moi ». (Partir avant le jour pp 90)
Mais c'est Bernanos qui en parle le mieux - d'ailleurs, il eût suffi de citer un extrait du Journal d'un curé de campagne, pour écrire un commentaire aujourd'hui:
« D’où vient que le temps de notre petite enfance nous apparaît si doux, si rayonnant? Un gosse a des peines comme tout le monde, et il est, en somme, si désarmé contre la douleur, la maladie! L’enfance et l’extrême vieillesse devraient être les deux grandes épreuves de l’homme. Mais c’est du sentiment de sa propre impuissance que l’enfant tire humblement le principe même de sa joie. Il s’en rapporte à sa mère, comprends-tu? Présent, passé, avenir, toute sa vie, la vie entière tient dans un regard, et ce regard est un sourire. Hé bien, mon garçon, si l’on nous avait laissés faire, nous autres, l’Eglise eût donné aux hommes cette espèce de sécurité souveraine. Retiens que chacun n’en aurait pas moins eu sa part d’embêtements. La faim, la soif, la pauvreté, la jalousie, nous ne serons jamais assez forts pour mettre le diable dans notre poche, tu penses! Mais l’homme se serait su le fils de Dieu, voilà le miracle! Il aurait vécu, il serait mort avec cette idée dans la caboche – et non pas une idée apprise seulement dans les livres, - non. Parce qu’elle eût inspiré, grâce à nous, les mœurs, les coutumes, les distractions, les plaisirs et jusqu’aux plus humbles nécessités. Ça n’aurait pas empêché l’ouvrier de gratter la terre, le savant de piocher sa table de logarithmes ou même l’ingénieur de construire ses joujoux pour grandes personnes. Seulement nous aurions aboli, nous aurions arraché du cœur d’Adam le sentiment de sa solitude. "