CHAPITRE III. Néant de l'honneur et de la gloire. V. 1. « Toutes choses ont leur temps, et tout passe. sous le ciel après le temps qui lui a été prescrit. » L'Ecclésiaste nous a montré dans les chapitres précédents combien notre état dans cette vie est sujet à l'inconstance et à l'agitation; ici il veut nous faire voir que chaque chose a son contraire, et qu'il n'est rien dans ce monde qui dure toujours. Mais il ne parle que des choses qui sont sous le ciel et dont la durée est bornée par le temps; car pour les substances spirituelles, elles ne sont point bornées par les temps ni renfermées dans le ciel.
V. 2. « Il y a temps de naître et temps de mourir, temps de planter et temps d'arracher ce qui est planté. » On ne peut point douter que le moment de la naissance et le moment de la mort ne soient connus de Dieu et fixés par sa providence, ni que « naître », n'ait le même sens que planter,» et « mourir » le même sens « qu'arracher; » mais comme nous lisons dans Isaïe ; « Seigneur, nous avons conçu par votre crainte; nous avons enfanté; nous avons produit, » nous devons aussi remarquer qu'un homme parfait en vertu fait mourir en lui-même tous les effets de la crainte dès qu'il a commencé d'aimer Dieu, parce que l'amour parfait bannit la crainte servile. Les Hébreux prétendent que tout ce que l'Écriture dit en cet endroit, touchant l'opposition et la contrariété des temps, se doit (157) entendre du peuple d'Israël jusqu'à ce dernier passage : « Il y a temps de faire la guerre et il y a temps de faire la paix ; » mais, ne jugeant pas nécessaire de les suivre pas à pas dans leur explication, ni de rapporter leurs sentiments sur chaque verset, je me contenterai de les marquer en passant et d'une manière fort abrégée, laissant à la capacité des lecteurs d'en l'aire une exposition plus étendue.
Il y a eu pour Israël un temps de naître et d'être planté, et il y a eu de même un temps de mourir et d'être réduit à la captivité.
Il y a eu temps de les faire mourir et de les tuer dans l'Egypte, et il y a eu temps de les délivrer de ce pays de mort. Il y a eu temps de ruiner le temple sous l'empire de Nabuchodonosor, et il y a eu temps de rebâtir ce temple sous le règne de Darius. Il y a eu temps de pleurer le renversement de la ville de Jérusalem, et il y a eu temps de rire et de danser sous Zorobabel, Esdras et Néhémias. Il y a eu temps de disperser le peuple d'Israël, et il y a eu temps de les rassembler dans leur pays. Il y a eu un certain temps que Dieu a donné au peuple juif le ceinturon et le baudrier, et il y a eu d'autres temps où ils ont été menés captifs à Babylone pour y faire pourrir leur ceinture au-delà de l'Euphrate, selon la prédiction expresse de Jérémie. II y a eu temps de les rechercher et de les sauver, et il v a eu temps de les rejeter et de les perdre. Il y a eu temps de séparer Israël, et il y a eu temps de le réunir. Il y a eu temps de l'aire taire les prophètes, comme ils se taisent aujourd'hui que les Juifs sont esclaves des Romains, et il y a eu temps de les faire parler quand, au milieu d'une terre ennemie, ils jouissaient de la consolation et des révélations du Saint-Esprit. Il y a eu temps d'aimer Israël lorsque Dieu leur a donné tant de marques de sa protection dans la personne de leurs patriarches, et il y a eu temps de les haïr et de les détester quand ils ont fait mourir Jésus-Christ. Il y a temps de faire la guerre, et ce temps est présent parce que les Juifs ne pensent point à faire pénitence , et il y a temps de faire la paix, lorsqu'à la fin du monde tout Israël sera sauvé après qu'une multitude infinie de gentils sera entrée dans l'Eglise de Jésus-Christ.
V. 3. « Il y a temps de tuer et temps de guérir. » Il y a temps de tuer et de guérir pour
celui qui dit dans le cantique du Deutéronome «Je tuerai et je ferai vivre. » Il nous guérit et nous l'ait vivre quand il nous invite à la pénitence; il nous fait mourir au contraire, selon ce qui est dit dans un des Psaumes : « Je faisais mourir sans délai tous les pêcheurs de la terre. »
« Il y a temps d'abattre et temps de bâtir. » Nous ne pouvons point nous édifier nous-mêmes, et jeter les fondements du bien et de la vertu, si nous ne commençons par déraciner les vices et par détruire nos mauvaises inclinations. C'est pour cela que Dieu ordonna à Jérémie, dans ses révélations, de commencer sa mission par déraciner, par renverser et par perdre, afin de planter ensuite et de bâtir.
V. 4. « Il y a temps de pleurer et temps de rire. » Nous sommes à présent dans le temps des pleurs ; les joies et les ris ne sont que pour l'avenir, selon cette parole de l'Evangile
« Heureux ceux qui pleurent, parce qu'ils riront un jour! »
« Il y a temps de s'affliger et temps de sauter de joie. » C'est il quoi nous pouvons rapporter les reproches que Jésus-Christ faisait aux Juifs en disant: « Nous avons chanté des airs lugubres devant vous, et vous n'avez point pleuré; nous avons joué de la flûte, et vous n'avez point dansé. » C'est maintenant qu'il faut pleurer et s'affliger, afin que nous puissions un jour sauter de joie, comme faisait David devant l'arche d'alliance. Car encore que ce prince déplût en cela à la fille de Saül, il ne laissa pas de faire une action très agréable devant Dieu.
V. 5. « Il y a temps de jeter çà et là des pierres et temps de les ramasser.» Je suis surpris qu'un homme d'érudition et fort éloquent ait pu donner un sens ridicule à ces paroles. Salomon, dit-il, parle en cet endroit des maisons qu'on abat et qu'on bâtit ordinairement. Les hommes donc renversent et rétablissent leurs maisons comme bon leur semble. Les uns sont occupés à faire des amas de pierres pour bâtir, les autres à renverser les bâtiments déjà faits. Ce qui fait qu'on peut leur appliquer ce que dit Horace: « Il renverse, il bâtit, il change en rond ce qui était carré,etc. » Je laisse au jugement du lecteur à décider si cette application est bonne ou mauvaise, et je reviens à mon explication précédente. Le temps de (158) jeter des pierres et de les ramasser est marqué, ce me semble, dans ces paroles que saint Jean-Baptiste dit dans saint Mathieu : « Dieu est tout-puissant pour faire naître de ces pierres des enfants à Abraham. » Lorsque les gentils étaient répandus par toute la terre, sans connaissance du vrai Dieu.. on pouvait les comparer à des pierres jetées deçà et delà ; mais lorsqu'ils sont entrés dans l'Eglise et qu'ils ont embrassé la foi de Jésus Christ, ils ont été alors des pierres choisies et des pierres ramassées.
« Il y a temps de s'embrasser et temps de s'éloigner clos embrassements.» En prenant ce texte simplement et dans un sens propre, il se présente de lui-même à l'esprit, surtout si l'on se souvient d'un passage de l'Apôtre qui convient là celui de l'Ecclésiaste : « Ne vous refuser point l'un à l'autre le devoir du mariage, si ce n’est d'un consentement mutuel, afin de vous exercer à l'oraison. » Les personnes mariées doivent se rendre ce devoir conjugal pour avoir des enfants, ensuite ne penser qu'à la continence et à la chasteté. On peut dire encore que le temps de s'embrasser était le. temps où Dieu disait aux hommes : « Croissez et multipliez-vous, et remplissez la terre », au lieu que le temps de s'éloigner des embrassements est le temps de la loi nouvelle, où les apôtres l'ont souvenir les fidèles que « le temps est court » et que «ceux mêmes qui ont des femmes doivent être comme s'ils n'en avaient point. »
Mais si nous voulons nous élever à des sens plus sublimes, nous verrons que la sagesse embrasse étroitement cens qui l'aiment et qui la recherchent. « Ayez du respect pour la sagesse,» vous dit l'Ecriture ; « aimez-la et elle vous embrassera. » Elle vous recevra entre ses bras et vous serrera dans son sein, comme une mère pleine de tendresse embrasse ses enfants. Il est vrai que l'esprit de l'homme est trop faible pour s'élever toujours en haut et pour ne penser qu'à des mystères divins et très sublimes ; cette continuelle application aux choses célestes n'est pas de cette vie; nous sommes obligés malgré nous de nous relâcher des exercices de la contemplation et d'avoir soin des nécessités du corps. C'est pourquoi il y a temps d'embrasser la sagesse et, de vaquer à la considération des choses spirituelles ; mais il y a temps aussi de nous en éloigner, et de quitter ces nobles occupations pour secourir une nature et un corps fragiles,aux besoins desquels nous devons accorder tout ce qui est nécessaire à la. vie, excepté ce qui pourrait déplaire à Dieu et nous faire tomber dans le péché : Et his, quibus vita nostra absque peccato indiget, serviamus.
V. 6. « Il y a temps d'acquérir et temps de perdre, temps de conserver et temps de rejeter. » L'Ecclésiaste nous propose les mêmes vérités et les mêmes sentences sous des expressions différentes, comme il est aisé de le voir par ce qui précède et par ce qui vient ensuite. Lorsqu'il dit« qu'il y a temps de renverser et temps de bâtir, temps de déchirer et temps de coudre, » il nous donne à connaître la réprobation de la Synagogue et l'élection de l'Eglise chrétienne. La loi est déchirée et abolie, et les Evangiles sont publiés, accompagnés et comme cousus d'une infinité de passages de l'Ancien-Testament, que les évangélistes ont empruntés des prophètes pour démontrer la venue du Messie dans la personne de notre Seigneur Jésus-Christ. C'est ainsi qu'il y a eu temps de chercher et de conserver Israël, temps de le perdre et de le rejeter. Ou disons plutôt qu'il y a eu temps d'appeler les gentils à l'Eglise, et temps d'abandonner le peuple juif; temps de conserver les fidèles de la gentilité et temps de rejeter les incrédules d'Israël.
V. 7. « Il y a temps de se taire et temps de parler.» Je ne sais si les disciples de Pythagore n'ont point emprunté de cet endroit la maxime qu'ils suivent exactement, d'être cinq ans sans parler, afin de ne dire ensuite que des paroles sages et judicieuses. Apprenons nous-mêmes à nous taire avant que de nous donner la liberté de parler. Soyons muets pendant un certain temps, et n'ayons que des oreilles pour écouter les leçons d'un habile maître et de notre précepteur. N'estimons rien bien dit que ce que nous avons appris d'un autre et que nous avons médité fort longtemps. N'ayons point la présomption de prendre la dualité de maîtres, qu'après un silence de plusieurs années. Mais au lieu d'observer ces maximes, nous nous laissons aller à la corruption du siècle présent, qui est plus grande que celle de tous les siècles passés, et nous ne nous embarrassons point d'enseigner dans les Eglises des choses dont nous n'avons point de connaissance; et s'il arrive que nous nous attirions les applaudissements de nos auditeurs, soit par des discours (159) étudiés et bien arrangés, soit par quelque artifice du démon, qui favorise toujours l'erreur et le mensonge, nous nous flattons, contre le témoignage de notre propre conscience, de savoir ce que nous avons pu persuader aux autres. Les arts cependant ne peuvent s'apprendre que sous la conduite de quelque bon maître. Il n'y a que l'art de prêcher les vérités divines qu'on regarde avec mépris, qu'on croit si facile que chacun s'en peut mêler sans avoir eu de précepteur pour se rendre capable d'instruire les autres.
V. 8. « Il y a temps d'aimer et temps de haïr. » On doit aimer, après Dieu, ses enfants, sa femme et ses parents; mais l'on est obligé de les haïr dans le temps du martyre, lorsqu'un confesseur de Jésus-Christ se sent attaqué par une fausse tendresse pour ses parents, et qu'ils veulent ébranler sa constance. Ou bien disons qu'il y a eu un temps que nous étions engagés à aimer la loi et tout ce qu'elle ordonne, comme la circoncision, les sacrifices des bêtes, le sabbat, les fêtes du premier jour des mois; mais que le temps de haïr toutes ces cérémonies est le temps de l'Évangile où la foi a pris la place pour rendre à Dieu un culte tout spirituel. Disons enfin qu'il y a temps d'aimer les faibles connaissances que nous avons présentement de la vérité, et qu'il y aura temps de haïr toutes nos imperfections quand nous serons arrivés à notre terme et que nous verrons la vérité face à face: alors nous mépriserons et nous haïrons ce que nous estimons davantage en cette vie.
« Il y a temps de faire la guerre et temps de faire la paix. » Pendant que nous sommes dans ce monde, nous devons toujours combattre et avoir les armes à la main; le temps de la paix ne viendra qu'après notre mort. Dieu, qui hante dans un lieu de paix, a établi notre demeure dans la céleste Jérusalem, dont l'étymologie est prise de la paix. Que personne donc ne se flatte d'être en repos et hors de danger il faut, dans un temps de guerre, être toujours sur ses gardes , se tenir prêt pour combattre, et ne quitter point les armes, afin de mériter la victoire et de se reposer éternellement dans le sein d'une profonde paix.
V. 9. « Que retire l'homme de tout son travail? J'ai vu l'occupation que Dieu a donnée aux enfants des hommes, et qui les travaille pendant tout le cours de leur vie. Tout ce qu'il
a fait est bon en son temps, et il a livré le monde à leurs disputes, sans que l'homme puisse reconnaître les ouvrages que Dieu a créés depuis le commencement du monde jusqu'à la fin. » Je n'ignore point ce que plusieurs ont dit sur cet endroit. Ils prétendent que Dieu a donné dans ce monde de l'occupation à tous les hommes, et même à ceux qui enseignent des dogmes pernicieux, afin que l'esprit de l'homme ne demeurât pas dans l'oisiveté et dans la langueur; que c'est ce que veut dire l'Ecclésiaste lorsqu'il nous assure que « tout ce que Dieu a fait est bon en son temps, » et que néanmoins les hommes, avec tous leurs efforts, ne sauraient comprendre la nature des ouvrages du Créateur, ni en avoir une connaissance parfaite. Le docteur hébreu qui m'a enseigné les Écritures m'expliqua autrefois en cette manière le passage dont nous parlons : Puisque tout passe et s'évanouit après un certain temps; puisqu'il y a temps d'abattre les édifices et temps d'en haire de nouveaux , temps de pleurer et temps de rire, temps de se taire et temps de parler, pourquoi tant de travaux et tant d'inquiétudes dont nous nous accablons? A voir tous les mouvements que les pommes se donnent, on dirait qu'ils veulent rendre perpétuelles les occupations d'une vie aussi courte que la nôtre. Nous ne pensons point aux paroles de l'Évangile, qui nous ordonne de ne point nous tourmenter et nous inquiéter de l'avenir et qui nous avertit « qu'à chaque jour suffit sa peine. » Car que pouvons-nous acquérir dans ce monde en travaillant de plus en plus? Nous ne changerons pas la situation des choses humaines ni l'ordre établi par la divine Providence, qui veut que les Hommes soient occupés à différents ouvrages et qu'ils se portent, les uns à une chose et les autres à une autre, afin que tous travaillent et que le commerce de la vie soit rempli par cette diversité. Dieu n'a donc rien fait qui ne soit utile en son temps. II est bon de veiller et de dormir, mais il n'est point bon de toujours veiller ni de toujours dormir. II faut que chaque chose soit faite en son temps, et qu'il y ait de la variété et des vicissitudes, selon l'ordre que Dieu en a prescrit et selon que le besoin le demande. Dieu a de même mis les hommes sur la terre pour jouir de la diversité des saisons, non pas pour examiner avec trop de curiosité la nature de tous les êtres, ni pour (160) demander la raison des ouvrages de Dieu, pourquoi ils ont été créés de telle ou de telle manière, pourquoi les uns subsistent depuis le commencement du monde, et pourquoi d'autres périssent et sont sujets à des changements continuels.
V. 11, 12 et 13. «Et j'ai reconnu qu'il n'y a rien de meilleur que de se réjouir et de bien faire pendant sa vie; car tout homme qui mange et qui boit, et qui retire du bien de son travail, reçoit cela par un don de Dieu. » L'homme a été établi dans ce monde comme un fermier et un étranger, afin d'y vivre un espace de temps fort court, et de penser que, ne pouvant se promettre une longue vie sur la terre, il fallait regarder tous ses biens d'un oeil de mépris et aspirer à un meilleur poste. Cet état d'hôte et d'étranger invite l'homme à faire le plus de bien qu'il peut et à quitter le soin d'amasser des richesses, qui font le tourment de tous ceux qui s'y attachent. Il faut aussi se persuader que tout le fruit qu'on peut retirer de son travail consiste à se procurer les aliments nécessaires à la vie, et à faire bon usage de ce qu'on possède, employant ses biens en aumônes et en bonnes couvres. C'est là le grand don de Dieu et une grâce toute singulière.
Par cet endroit on découvre aisément le peu de raison qu'ont certains libertins, qui prétendent que le livre de l'Ecclésiaste nous porte au luxe, aux délices et au désespoir de ceux qui parlent ainsi dans Isaïe : «Mangeons et buvons, car demain nous ne serons plus en vie;» et qui mettent tous leurs plaisirs à se rendre semblables aux bêtes, en donnant toute leur application à la joie des sens. Ce n'est pas ce qu'enseigne l'auteur de l'Ecclésiaste : il veut au contraire, avec l'apôtre saint Paul, que« nous nous contentions d'avoir de quoi vivre et de quoi nous vêtir. » et que nous employions le superflu à la nourriture des pauvres, et à exercer la libéralité envers ceux qui sont dans l'indigence.
Mais, si nous prenons les paroles de Salomon dans un sens analogique et tout spirituel, nous porterons plus haut nos pensées, et nous verrons que tout notre bonheur dans ce monde est d'avoir l'avantage de pouvoir nous nourrir du corps et du sang de Jésus-Christ, qu'il nous assure lui-même être une vraie viande et un véritable breuvage. Il nous donne cette divine nourriture, non-seulement dans le mystère des autels, mais aussi dans la lecture de la sainte Ecriture. Car ceux qui possèdent la connaissance des Ecritures trouvent mille délices, des mets excellents et des eaux salutaires dans la parole de Dieu, qui nous est donnée pour la nourriture de nos âmes.
Au reste l'on se tromperait de prétendre que la prophétie de Balaam. où il dit : « Jacob sera exempt de travail et Israël ne souffrira point de douleur, » est contraire à ce que dit l'Ecclésiaste, « qu'il n'est rien de mieux que de se réjouir en buvant et mangeant, et en jouissant du fruit de ses travaux, et que cela est un don de Dieu. » Il n'y a point de contradiction entre ces deux passages, parce que l'un est une prédiction de l'avenir qui nous promet ces jours heureux dont parlent les prophètes, lorsque nous serons délivrés de tous les maux que nous souffrons dans cette vie, et que le Seigneur aura essuyé, nos pleurs et nos larmes. Mais avant de jouir du repos éternel, il faut que les justes soient affligés dans ce monde et qu'ils travaillent infatigablement à l'ouvrage de leur salut. Le grand Apôtre n'a pas été dispensé de ce travail ni de ces peines, qui le faisaient suer et gémir jusqu'à lui faire souhaiter d'être délivré d'un corps mortel qui l'exposait à tant d'afflictions et de combats. Aussi lisons-nous dans l'Evangile : «Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils se réjouiront! » Ce ris et cette joie ont de même pour garant la prophétie de Job, qui nous fait espérer que« la bouclée de ceux qui aiment la vérité sera remplie de joie. » C'est ainsi que nous jouissons dies à présent du travail de nos mains si nous sommes tout occupés à faire de bonnes oeuvres. Travaillons donc sans cesse; que le poids de la fatigue de nos travaux ne nous décourage point, afin de mériter par notre persévérance et de nous procurer un repos éternel.
V. 14. « J'ai encore reconnu que tout ce que Dieu a fait doit toujours subsister; qu'on ne peut rien ajouter à ses ouvrages ni rien en diminuer. Et Dieu a eu en vue, dans ce qu'il a fait, de se faire craindre et révérer.» Il n'est rien de nouveau dans ce monde. Le cours du soleil, les changements de la lune, de la terre et des arbres ont commencé avec le monde. La sécheresse et la verdure, la nudité de l'hiver et la beauté du printemps sont aussi anciennes que la terre même, qui produit les herbes, les (161) fleurs et les fruits dans chaque saison. Dieu a donc si bien réglé toutes choses et mis un si bel ordre dans la nature qu'il fait servir les éléments aux besoins du genre humain, afin que les hommes reconnaissent en cela sa providence et sa sagesse, et qu'ils tremblent de frayeur à la vue d'une si grande puissance. Car si l'on considère avec un peu de réflexion cette disposition admirable des créatures, l'égalité de leurs mouvements, l'ordre qu'elles gardent et leur durée dans tous les siècles, on sera obligé d'adorer leur créateur. En effet, « les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité sont devenues visibles depuis la création du monde, par la connaissance que les créatures nous en donnent. » Si nous faisons commencer un autre verset par ces paroles «Dieu a eu en vue de se faire craindre dans ce qu'il a fait,» nous pouvons y donner ce sens Dieu a voulu, par toutes les choses qu'il a faites, imprimer de la crainte dans le coeur des hommes, afin qu'ils se gardassent de pervertir et de renverser l'ordre qu'il a établi dans le monde lorsqu'il l'a créé. Remarquer ici cette belle ex pression du texte original : « afin qu'ils craignissent de devant sa face ; « car il est écrit : «Le visage du Seigneur est appliqué sur ceux qui font le mal. »
V. 15. « Ce qui a été est encore aujourd'hui, ce qui doit être a déjà été; et Dieu a soin de chercher celui qui souffre persécution. » Toutes les choses que nous voyons maintenant sont des choses, ou qui ont déjà été, ou qui sont présentes, ou qui seront dans la suite. Le soleil, qui se lève tous les jours fort régulièrement, était avant nous et sera encore après notre mort. Je prends pour preuve le soleil, afin que nous comprenions par ce seul exemple qu'il en est de même de toutes les autres créatures, qui sont telles qu'elles ont été par le passé, et qui seront les mîmes jusqu'à la fin des siècles. Il n'y a rien dans la nature qui périsse entièrement et qui soit anéanti lorsque l'être en est détruit, parce que chaque chose a son retour, qu'elle renaît et qu'elle ressuscite avec de nouvelles qualités et sous de nouvelles formes. Mais si l'on voit une espèce de résurrection dans toutes les choses naturelles, ne doutons point que les hommes ne ressuscitent véritablement après leur mort. Que si quelqu'un aime mieux dire que ces paroles : «Et Dieu a soin de chercher celui qui souffre persécution,» sont le commencement d'un autre verset, il pourra s'en servir dans le temps des persécutions des gentils, pour consoler ceux qui souffrent constamment les tourments du martyre. Et parce que, dans le sentiment de l'Apôtre, tous ceux qui veulent vivre avec, piété dans ce monde ne peuvent manquer d'être persécutés, il est juste qu'ils trouvent leur consolation dans ce passage de l'Ecclésiaste, qui leur promet que Dieu recherche soigneusement celui qui souffre persécution, comme il faisait autrefois rendre compte du sang de ceux qu'on avait tués, de même encore qu'il est venu chercher ce qui était perdu et qu'il a rapporté dans la bergerie la brebis qui s'était égarée.
V. 16 et 17. « J'ai vu sous le soleil l'iniquité dans le lieu du jugement et l'iniquité dans le lieu de la justice; et j'ai dit en mon coeur ; Dieu jugera le juste et l'injuste, et alors ce sera le temps de toutes choses.» Le sens de ces passages est fort clair dans l'original; la traduction v a répandu quelque obscurité et un peu de ténèbres. Je me suis appliqué sous le soleil que nous vouons, dit l'Ecclésiaste, à la recherche de la vérité et de la justice. ; je l'ai cherchée dans le lieu où elle devrait régner, et j'ai vu l'impiété et l'injustice sur le trône des juges, au milieu desquels les présents l'ont pencher la balance au préjudice de la vérité et de la ,justice. Je m'étais toujours persuadé que l'équité n'était pas tout-à-fait bannie des palais et des tribunaux, que le juste y trouvait de la protection, qu'il y était traité selon son mérite, et l'injuste puni à cause de ses crimes; mais j'ai reconnu que je m'étais trompé et qu'il en était tout autrement, puisque les justes sont maltraités dans ce monde et affligés de plusieurs calamités, pendant qu'on voit des scélérats dans un grand crédit et s'élever quelquefois jusque sur le trône. Rentrant ensuite en moi-même et m'entretenant de ces pensées, j'ai fait réflexion que Dieu ne jugeait point les hommes sur la terre à diverses reprises et les uns après les autres; mais qu'il se réservait à les juger tous ensemble à la fin des siècles, où chacun recevra selon ses couvres et selon les intentions de son coeur. C'est ce que signifient ces dernières paroles : « Et alors sera le temps de l'examen de toute volonté et de toutes les actions que l'on aura faites; » ce qui veut dire que quand Dieu (162) commencera à juger tous les hommes, la vérité paraîtra toute nue; au lieu que, pendant cette vie, le mensonge et l'injustice ont pris la place et règnent partout dans ce monde. Nous lisons un passage semblable dans le livre intitulé La sagesse de Syrach: «Ne dites point : Pourquoi cela, ou pourquoi ceci? parce que chaque chose sera recherchée dans son temps. »
V. 18 et 19, etc. « J'ai dit en mon coeur, touchant les enfants des hommes, que la parole, qui les distingue des bêtes, n'empêche pas qu'ils ne paraissent leur être semblables ; car le sort des animaux et celui des hommes est égal comme l'homme meurt, les bêtes meurent aussi ; les uns et les autres respirent le même air, et l'homme n'a rien de plus que la bête; tout est soumis à la vanité et tout tend vers un même lieu ; ils ont tous été tirés de la terre et ils retourneront tous en terre. Qui connaît si l'âme des enfants d'Adam monte en haut et si l'âme des bêtes descend en bas? » Il ne faut pas s'étonner si nous ne voyons dans ce monde aucune différence extérieure entre l'homme juste et l'homme impie, et si la vertu est si peu considérée dans ce temps de confusion et d'ignorance, puisque l'homme ne diffère en aucune manière des bêtes, quant à la misère et à la fragilité du corps : nous naissons comme l'on voit naître les bêtes; la mort nous réduit en poussière, de même qu'elle fait retourner en poussière le corps des bêtes privées de raison. Mais si nous pensons que les âmes des hommes montent en haut quand nous mourons et que les âmes des bêtes descendent dans la terre , sur quel témoignage appuyons-nous cette connaissance, et qui peut nous être garant de la vérité ou de la fausseté de nos espérances? ce que l'Ecclésiaste ne dit point comme s'il pensait que nos âmes périssent avec nos corps, et qu'après la mort les hommes et les bêtes sont mis dans un même lieu; mais parce qu'avant la venue de Jésus-Christ les hommes et les bêtes descendaient également sous la terre. C'est pourquoi Jacob disait qu'il devait « descendre dans les enfers. » Job se plaint aussi que les justes et les impies« sont retenus dans les enfers. » L'Evangile nous apprend de son côté qu'il y a un grand chaos dans les enfers; que le Lazare y est dans le sein d'Abraham, le riche dans les tourments. Et, pour dire la vérité, avant que Jésus-Christ, accompagné du bon larron, nous eût ouvert les portes du Paradis après avoir éteint les chariots de l'eu et l'épée étincelante qui en défendaient l'entrée, les cieux nous étaient entièrement fermés; et alors les hommes et les bêtes étaient renfermés dans la même clôture des enfers, parce qu'ils étaient aussi vils et aussi faibles les uns que les autres quant à la chair et à la substance matérielle; et quoiqu'il semblât que la dissolution des uns et la conservation des autres mit une grande différence entre les hommes et les bêtes, il faut néanmoins confesser que d'être retenu dans les ténèbres de l'enfer était presque la même chose que de périr avec le corps.
Remontons au commencement de cette section pour expliquer chaque verset d'une manière courte et précise, et selon l'ordre du texte sacré. «J'ai dit dans mon coeur, touchant le parler des enfants des hommes, que Dieu avait voulu les distinguer. » C'est principalement la faculté de la parole qui distingue les hommes des bêtes. Nous parlons les uns avec les autres et nous nous découvrons mutuellement nos inclinations et nos plus secrètes pensées, pendant que les bêtes demeurent muettes et abattues dans le silence. Néanmoins, bien que nous nous distinguions d'elles par la parole, nous ne laissons pas de leur être semblables dans les qualités du corps et par la vileté et la fragilité de la chair : on voit mourir les hommes de la même manière qu'on voit mourir les bêtes; les uns et les autres respirent le même air et vivent de même en le respirant. C'est le sens de ce verset : « Il n'y a qu'un souffle pour tous, et l'homme en cela n'a aucun avantage sur les bêtes. »
Mais, pour nous ôter la pensée que nous pourrions avoir, qu'il étend ce qu'il dit jusques à nos âmes, il ajoute d'abord : « Ils ont tous été tirés de la terre et ils retourneront tous en terre; » ce qui ne se peut dire que de nos corps, qui ont été formés de terre; et c'est du corps seulement que Dieu a dit: « Vous êtes terre et vous retournerez en terre. » Quant aux paroles suivantes, qui semblent contenir des blasphèmes et des impiétés : « Qui connaît si l'âme des enfants d'Adam monte en haut, et si l'âme des bêtes descend en bas?» quant à ces paroles, dis-je, il faut. bien se donner de garde de croire que l'Ecclésiaste ne distingue point les hommes des bêtes, et qu'il prétend confondre la dignité (163) de l'âme avec la bassesse du corps. Il veut seulement, lorsqu'il dit : « qui connaît?» nous insinuer la difficulté de cette connaissance, et combien peu de personnes la possèdent; car dans l'Ecriture sainte le pronom interrogatif quis, qui, ne marque point l'impossibilité d'une chose, mais la seule difficulté ; comme dans cet endroit d'Isaïe : « Qui pourra parler de sa naissance?» et dans le quatorzième psaume : « Seigneur, qui est celui qui habitera dans votre tabernacle? » et le reste. La seule différence donc qu'il y a entre les hommes et les bêtes est que l'âme des hommes monte au ciel en se séparant du corps., et que l'âme des bêtes descend en bas dans la terre et y est détruite avec le corps; ce que j'ai dit en passant dans cette explication littérale, afin de répondre à quelque savant ecclésiastique qui pourrait prétendre que l'Ecclésiaste a parlé des âmes en doutant et ne sachant si celles des hommes montent en haut et si celles des bêtes descendent en bas.
V. 22. « Et j'ai reconnu qu'il n'y a rien de meilleur pour l'homme que de se réjouir dans ses oeuvres, et que c'est là son partage ; car qui le pourra mettre en état de connaître ce qui doit arriver après lui? » Il n'est donc rien de meilleur pour l'homme,pendant qu'il vit en ce monde, que de mettre sa joie à faire de bonnes oeuvres et des aumônes, pour se préparer un trésor dont il doit jouir dans le royaume des cieux. Ce partage qu'il se fait lui-même de ses propres biens ne saurait lui être ravi ni par les voleurs ni par les tyrans , et c'est le seul qui doit le suivre après sa mort; car, après que l'âme s'est séparée du corps, l'homme ne peut point encore une fois profiter du fruit de ses travaux, ni connaître ce qui se fera dans ce monde après qu'il en sera parti. Il y en a qui disent, sur ce verset, que l'Ecclésiaste nous apprend à nous servir des biens que nous possédons dans cette vie, parce que cet usage est la seule chose que nous emportons avec nous en quittant le monde, ne sachant point qui sera l'héritier de nos biens après notre mort, ni s'il méritera de nous succéder et de posséder ce que nous avons acquis par notre travail.
Source : abbaye-saint-benoit.ch
Que Jésus Miséricordieux vous bénisse
ami de la Miséricorde