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 "Les grandes amitiés", par Raïssa Maritain

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boisvert
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boisvert



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MessageSujet: Re: "Les grandes amitiés", par Raïssa Maritain   "Les grandes amitiés", par Raïssa Maritain - Page 2 Icon_minitimeLun 24 Juil 2017 - 13:14

Je veux lui apporter ici mon modeste témoignage. C'était un homme très bon et d'un grand désintéressement. Il était parfaitement convaincu de la vérité du marxisme et croyait en l’avènement d'une ère de liberté et de bonheur universel. Plus tard, il adhéra au communisme, mais sa foi idéaliste ne put s’accommoder du totalitarisme soviétique et il n'hésita pas à rompre avec lui, avant les fameux "procès de Moscou", où la plupart des grands auteurs de la révolution de 1917 parurent rechercher eux-mêmes, par d'incroyables confessions, un verdict de mort.
Pendant toute une année le Dr Charles Rappoport me fit une courte histoire de philosophie. Lui-même était Kantien, mais il ne fit rien pour me faire préférer le kantisme à tout autre système. Je n'avais de mon côté aucune hâte à conclure, à choisir. Là encore j'attendais, je me réservais. C'était déjà une joie immense que d'autres que moi avaient consacré leur vie à cette recherche. Que de trésors s'étaient révélés à l'activité de l'intelligence humaine ! Je pensais que parmi eux, un jour, je trouverais le mien - une vérité absolue, une vérité inébranlable ! Je connaîtrais le sens de la vie et la vérité sur Dieu. Mais je croyais aussi qu'aucune certitude de cet ordre ne pouvait être obtenue sans l'effort et sans l'épreuve et sans l'approbation de la science.
On peut voir par là que mon professeur avait omis de me parler de la hiérarchie des connaissances. Dans mes degrés du savoir, je plaçais tout en haut une Science physique dominatrice, pesant et mesurant toutes choses et donnant la clef de toutes les énigmes de l'univers. Philosophie et religion, conduite de la vie privée, découvertes des sciences naturelles et physiques.
Cette persuasion, je la devais à l'ambiance intellectuelle où je vivais. Tous ces étudiants et ces Doctors qui fréquentaient chez mes parents ainsi. Ils étaient scientistes, déterministes, positivistes, matérialistes, et je l'étais avec eux. Ou plutôt avec ce sentiment d'attente qui ne me quittait pas, et qui me rendait toutes choses provisoires, je les croyais, sans donner encore à leurs thèses une adhésion réfléchie.

(Fin du chapitre 2)
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boisvert
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boisvert



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MessageSujet: Re: "Les grandes amitiés", par Raïssa Maritain   "Les grandes amitiés", par Raïssa Maritain - Page 2 Icon_minitimeMer 2 Aoû 2017 - 13:35

Ce sont d’admirables observateurs, qui aiment cette tranquille de la nature. Pour moi, je voudrais cette même nature, la connaître d'une autre manière - dans ses causes, dans son essence, dans sa fin.
"Mais c'est de la mystique !", s'écria-t-indigné.  Formule de scandale chère aux comptenteurs de la métaphysique, et tant de fois entendue depuis à la Sorbonne où elle servait à condamner toute activité de  qui veut s'élever au-dessus de la simple constatation empirique des "faits". Pour moi, première blessure, première atteinte en mon esprit à la confiance que je portais en mes maîtres. .



LE PLUS GRAND DE MES AMIS

    Un jour où, toute mélancolique, je sortais d'un cours de M. Matruchot, professeur de physiologie végétale, je vis venir à moi un jeune homme au doux visage, aux abondants cheveux blonds, à la barbe légère, à l'allure un peu penchée. Il se présenta, me dit qu'il était en train de former un comité d’étudiants pour susciter un mouvement de protestation parmi les écrivains et les universitaires français, contre les mauvais traitements dont les étudiants socialistes russes étaient victimes en leur pays. (Il y a eu à cette époque en Russie des émeutes universitaires réprimées par la police tsariste) et il me demanda mon nom pour ce comité. Telle fut ma première rencontre avec Jacques Maritain.
   L'activité de ce comité consistait à obtenir la signature des représentants de l'intelligence française pour une lettre de protestation que Jacques devait remettre et qu'il a remise en effet à l’embrassade de Russie.  J'ai ainsi rendu visite à bien des personnalités dont j'ai maintenant oublié le nom, non qu'elles ne soient toujours célèbres, mais je ne sais plus auprès desquelles le Comité m'envoya alors. Nous avions obtenu un grand nombre de signatures et de lettres. Le précieux dossier de ces autographes a disparu.
   Nous devînmes rapidement inséparables. Jacques était déjà licencié en philosophie, mais il préparait aussi une licence en sciences, et fréquentait les mêmes cours que moi.

  Après les cours, il m'accompagnait à la maison;  parfois d'autres étudiants se joignaient à nous, mais le plus souvent nous, étions seuls. Nous avions un assez long chemin à faire. Nos causeries étaient interminables.  Il négigeait l'heure des repas chez lui, ce qui chagrinait sa mère et dérangeait beaucoup la cuisinière, d'autant plus qu'à cette époque, il s'était mis en tête par "Tolstoïsme", de servir lui-mêle à table. Lorsque je l'ai su plus tard, j'en ai eu du regret, mais pouvions-nous, alors, lui et moi, penser à de telles contingences.  Est-ce que rien existait auprès de tout ce que nous avions à nous dire ?  Il nous fallait repenser ensemble l'univers entier !  le sens de la vie, le sort des hommes, la justice et l'injustice des sociétés. Il fallait lire les poètes et les romanciers contemporains, fréquenter les concerts classiques, visiter les musées de peinture... Le temps passait trop vite, on ne pouvait le gaspiller dans les banalités de la vie.

  Pour la première fois, je pouvais parler de moi-même, sortir de mes réflexions silencieuses pour les communiquer, dire mes tourments. Pour la première fois, jerencontrais quelqu’un qui m'inspirait d'emblée une confiance absolue, quelqu'un qui, je le savais dès lors, ne me écevrait jamais. Quelqu'un avec qui, sur toutes choses, je pouvais si bien m'entendre. Un autre quelqu'un avait préétabli entre nous et malgré de si grandes différences de tempérament et d'origine, une souveraine harmonie...  

Jacques Maritain avait les même préoccupations profondes que moi, les même questions le le tourmentaient, le même désir désir de la vérité qui l'animait tout entier.  Mais il avait plus de maturité que moi, déjà plus de science et d’expérience, plus de génie surtout !  Il devint donc tout de suite mon grand appui. Il était déjà débordant d'activité intérieure, de bonté, de générosité, sans nul préjugé : d'une âme toute neuve et qui paraissait constamment inventer elle-même sa loi, sans nul respect humain -par ce qu'il avait le plus grand respect de sa conscience, très apte à "passionner le débat quel qu'il fut, comme le lui avait déjà reproché son professeur de philosophie au lycée. Toujours prêt à l'initiative d'une action généreuse si la justice ou la vérité y étaient intéressées. Sa culture artistique était déjà alors d'un niveau très élevé, grandement favorisé par son sens inné de la poésie et de la beauté plastique.
   C'est lui qui m'a fait découvrir l'univers immense de la peinture. C'est avec lui que, pour la première fois, je suis allée au Musée du Louvre.



DE LA PEINTURE


   En rappelant mes souvenirs, je m'aperçois que Jacques m'a fait connaître plusieurs peintres selon un certain ordre, et non au hasard. Il m'a d'abord conduite devant les tableaux des primitifs italiens, qui sont évidemment ceux qu'on aime d'emblée, et sans qu'une éducation préalable soit nécessaire. C'est par eux qu'en Occident cette éducation commence.
Le très grand art du peintre, comme ignorant soi-même, s'y pare modestement de grâce toute simple et de fraîcheur. La beauté picturale s'y marie à la beauté des modèles élus, comme à l'intérêt des "sujets" traités.   L'Académisme n'y a pas encore apporté sa froideur, son orgueilleuse distance, ni la brutalité et le mauvais goût du trompe-l’œil, de sorte qu'on ne se trompe pas en se laissant toucher. Ducio, Giotto, Angélico, vous introduisent tout à la fois à la beauté comme purifiée, et au monde de la bénignité et de la douceur de la grâce divine, sans qu'on y pense; mais on est heureux.
  Plus encore que les Primitifs italiens,  ceux de l'école française m'émurent et m'attachèrent à jamais. Leur facture sobre et dramatique à la fois, la profondeur du sentiment douloureux qui se dégage de leurs œuvres, la grâce toute française des visages et des attitudes - ces petits visages de femmes, ramassés comme un point, au nez" un peu retroussé, au front large et bombé, au sourire modeste et malicieux, cette allure point guindée des vierges dans leurs robes, ou dans leurs tuniques très peu grecques  -  combien la France m'était aimable et chère en elles !
   Et les photographies des tableaux préférés commencèrent à envahir l'appartement de mes parents. Avec elles aussi, d'une certaine manière, le christianisme. La plupart de ces images, en effet, représentaient des Annonciations et des Visitations, des Nativités et des Crucifiions, des Vierges, des Anges, des Apôtres et des saints. La beauté apportait le lointain message évangélique à travers les plus heureux temps de la Chrétienté.  Nous admirions, nous aimions la beauté du message, ignorants encore de sa vérité.
   Les peintres fastueux de la Renaissance italienne,  espagnole, flamande m'éblouirent mais l'éblouissement n'est pas forcément l'amour. Un peu de froideur se glisse dans un arts si merveilleusement conscient de lui-même et permet à l'admiration  un certain détachement, qui parfois rompt le charme.  Parmi tant de maîtres extraordinaires, au-dessus de Léonard de Vinci, de Michel-Ange, de Raphaël, du Titien,  au-dessus de tout, j'aimais Rembrandt et Zurbaran, le Greco et Georgione.... Zurbaran devait m'apparaître de plus en plus comme le plus religieux et le plus mystique des peintres et Rembrandt comme le plus contemplatif dans son âme - celui qui réalise le plus intérieurement son atmosphère propre

  Rembrandt a des personnages de  l'Ancien Testament un sens incomparable.  Peut-être a-t-il vu dans les Synagogues des Pays-Bas, ces visages clairs-obscurs, éblouissants dans les ténèbres de leurs nuits pleines d'espérances; et il a créé une technique apte à exprimer cette beauté cachée, plus mystérieuse que charnelle. C'est la parfaite antithèse de Rubens.

  Rembrandt fut cependant la cause innocente de la première et violente discussion que j'eus avec Jacques et où commença à nous être révélé le besoin que nous avions de nous trouver en toute occasion absolument d'accord l'un avec l'autre.
  Je nourrissais pour Rembrandt une admiration passionnée.  Mais dans le tableau appelé "La boucherie,", et où le peintre a représenté avec beaucoup de réalisme un bœuf écorché, me déconcerta. Je déclarai ne point l'aimer, et me buttai dans cette attitude fondée, il est vrai sur un sentiment profond. Ce que le sujet avait de vulgaire  - non son humilité mais sa brutalité, ce dont, dans la réalité, j'aurais détourné les yeux, me semblait indigne d'un si grand artiste.
  De son côté, Jacques, dont la sensibilité esthétique était mieux décantée que la mienne des composantes ou morales, ou simplement naturelles, prétendit mettre cette Boucherie au même rang absolument sur le touchant Philosophe, à la barbe de travers, ou la fastueuse Fiancée juive, ou les pathétiques portraits du peintre par lui-même. Ce dissentiment était intolérable, mais pour nous réconcilier, il n'y avait pas d'autre moyen que
que d'arriver à nous comprendre, et résoudre le problème  en lui-même. Ainsi ont commencé nos rétroflexions sur l'art.

   Cette question de l'importance du sujet dans la Peinture n'a jamais été vraiment résolue que par l'exemple des grands peintres du vingtième siècle. La plupart d'entre eux ont négligé les sujets importants par eux-mêmes, par leur signification, ou par leur beauté naturelle, mais ils ont tenu d'autant plus à la subtile qualité de la matière picturale, liée non seulement à une technique très savante, mais aussi à la présence de cette âme de tous les arts qu'est la poésie, invisible mais souverainement agissante, et qui se trouve essentiellement non dans un "sujet" extérieur au peintre mais dans l'émotion génératrice de l'oeuvre toute entière matière et forme, indistinctement .   Cette émotion peut être provoquée par une réalité immense ou infime, et la beauté de l'oeuvre d'art ne se confond jamais avec celle du sujet traité.
   Cette distinction une fois faite, on comprend d'autant mieux la liberté de l'artiste à l'égard du donné naturel.   Un Corot, par exemple rend merveilleusement la beauté difficile à égaler de paysages donné que l'on contemplerait aussi dans la nature avec une joie infinie.  Mais un Utrillo donne une beauté grande et émouvante aux plus banales maisons des quartiers les plus disgraciés de Paris.  Un Henri Rousseau semble peindre naïvement et avec une scrupuleuse fidélité toutes les feuilles et les végétations tropicales; mais ces tropiques, il ne les a jamais vus; et ses tableaux "naïfs" atteignent aux plus grand style pictural.

  En ce temps-là, où la boucherie de Rembrandt me scandalisait, je connaissais encore très mal les peintres modernes. Je continuai mes visites au musée du Louvre. Je trouvai difficile la connaissance des classiques français. Mais j'aimais Watteau. Le XIXe siècle me fut plus accessible, surtout Corot et puis Manet.  Certains paysages de Monet me faisaient pleurer. De Puvis de Chavanne, dont les fresques décorent le Panthéon, je trouvais belle surtout "Sainte-Geneviève veillant sur Lutèce endormie"  Est-ce qu'elle a cessé de veiller sur sa ville ?  S'en est-elle même endormie du sommeil des bienheureux devenus insensibles à la beauté de ce monde qui passe ?
 
Je ne connus vraiment que plusieurs années plus tard, et grâce à notre ami Georges Rouault, la peinture moderne et ses grands successeurs: Rouault lui même, d'abord. Et puis Renoir, Degas,Seurat, Henri Rousseau, Matisse, Van Gogh, Utrillo, Severini, Picasso, Chagall, pour ne nommer que les plus aimés dans ces fastes de la peinture. Mais je ne veux pas anticiper davantage.


.(à suivre)
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MessageSujet: Re: "Les grandes amitiés", par Raïssa Maritain   "Les grandes amitiés", par Raïssa Maritain - Page 2 Icon_minitimeSam 9 Sep 2017 - 11:40

NOS PREMIERS AMIS : ERNEST PSICHARI


Jacques était venu à moi avec d'autres richesses encore que sa grande culture. Il avait déjà deux très grands amis dont les noms seront toujours chers aux Français. L' un était un jeune homme de l'âge de Jacques, l'autre était leur aîné de de huit ou dix ans. Ils sont l'un et l'autre morts pour la France, pour son honneur et pour sa liberté en 1914. Ernest Psychari est tombé le 22 aôut à Rossignol, en Belgique, et Charles Péguy a été tué sur le champ de bataille de la Marne, à la veille  de notre miraculeuse et apparemment inutile victoire.
   Un jour, donc, Jacques me fit connaître Ernest Psichari. Ils avaient étudié ensemble au Lycée Henri IV, où Jacques l'avait découvert et présenté à sa mère et à sa soeur comme une grande merveille. Des liens d'amitié se nouèrent entre leurs familles. Il n'est peut-être pas inutile, pour l'intelligence de ce qui va suivre de dire quelques mots de celles-ci.
  Par sa mère, Jacques Maritain est le petit-fils de Jules Fabre;  Psichari était par sa mère le petit fils d'Ernest Renan. Les Renan et les Favre ont été aue XIXe siècle les plus représentatifs des grandes familles intellectuelles et politiques de la France libérale et républicaine.
Ce qui dominait dans les traditions familiales d'Enest, c'était les jeux et les gloires de la pensée et l'action directrice exercées par l’aristocratie universitaire. Dans les traditions familiales de Jacques, c'étaient l'amour idéaliste du peuple, l'esprit républicain et les combats politiques pour la liberté.
Chez les Renan comme chez les Favre, les lignées ancestrales étaient profondément ancrées dans le passé catholique de La France.




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L





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