Le Pape remet en question la béatification de Pie XII
De notre correspondant du Figaro au Vatican Hervé Yannou
18/12/2007 .
Benoît XVI a refusé de signer le décret débloquant le cas de Pie XII.Il veut garder la haute main sur ce dossier et ses implications.
Au moment où les relations diplomatiques sont tendues avec Israël, le pape allemand souhaite enterrer le dossier de son prédécesseur, accusé de silence face à la Shoah.
Benoît XVI freine le procès en canonisation de son prédécesseur Pie XII. Pour étudier le dossier très sensible du pape de la Seconde Guerre mondiale, il a mis en place une commission spéciale afin d’étudier le cas controversé d’Eugenio Pacelli, accusé d’apathie, voire de silences, face à la Shoah.
Lundi, Benoît XVI a autorisé la promulgation de décrets reconnaissant les miracles de six futurs bienheureux et les «vertus héroïques» de huit autres personnes, ouvrant ainsi la voie à la première étape de leur procès en sainteté. Parmi ces derniers ne figurait pas Pie XII.
Pourtant, le 8 mai, les cardinaux et les évêques membres du conseil de la congrégation pour la Cause des saints, la «fabrique des saints» du Vatican, avaient voté – à l’unanimité, dit-on –, l’octroi des «vertus héroïques» au pape de la Seconde Guerre mondiale, en se fondant sur le dossier compilé par les jésuites Peter Gumpel et Paolo Molinari, et entériné par une commission historique.
Cela n’a pas convaincu Benoît XVI qui, lundi, a rappelé à l’ordre les prélats chargés de suivre l’étude des procès en sainteté. Il leur a expressément demandé de faire preuve d’un «professionnalisme irréprochable» et de «probité» dans leurs enquêtes.
Benoît XVI n’a pas les pratiques tous azimuts de Jean-Paul II qui, durant son pontificat, effectua 483 canonisations et 1 342 béatifications. Prudent, il sait que la politique du pape polonais a prêté le flanc à la critique et que certains dossiers ont été étudiés trop vite, sans bien tenir compte de toutes les facettes d’un futur saint ni surtout des implications politiques que peut avoir la démarche de l’Église catholique.
Le cas similaire d’un prêtre français
Les motivations de Benoît XVI de ne pas signer le décret débloquant le cas de Pie XII et de garder la haute main sur le dossier sont en partie diplomatiques. La commission qui doit réexaminer le procès a en effet été mise en place au sein de la Secrétairerie d’État, qui se charge, en autres, de la diplomatie vaticane. L’élévation au rang de saint, et donc de modèle pour l’Église catholique, d’Eugenio Pacelli, en dehors des questions historiques sur son attitude durant la guerre, pourrait être mal perçue dans une période où les relations avec l’État hébreu ne sont pas au beau fixe. Le Pape doit faire preuve de pragmatisme.
Benoît XVI avait déjà été confronté à un autre cas qui aurait pu engendrer de fortes tensions avec Israël. Et, là encore, il avait fait preuve de grande prudence. À peine élu, le pape allemand s’était vu dans l’obligation de suspendre la béatification du prêtre français Léon Dehon, pourtant ratifiée par Jean-Paul II alors en fin de vie. Des évêques et des historiens français avaient en effet fait connaître au Saint-Siège des écrits antisémites de ce théoricien du XIXe siècle du catholicisme social. Le Pape avait alors décidé, en juin 2005, de réunir une commission. Cette dernière a remis à Benoît XVI un rapport plutôt négatif mais lui laissant la décision finale. Le Pape n’en a jamais plus parlé et l’affaire a été enterrée