Il y va fort frère Dominique ! Son homélie de la fête de la Trinité... haute voltige. À méditer sans modération.
Homélie
Ex 34, 4-9
Dn 3, 52-56
2 Co 13, 11-13
Jn 3, 16-18
Le jour où nous célébrons la Sainte Trinité, l’Église nous donne à méditer ce verset de saint Jean : « Dieu a tant aimé le monde qu’Il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle ». Il est magnifique. Il dit le mystère et le dynamisme de la vie trinitaire.
Mais commençons par le début : notre Dieu est Père, Fils et Saint-Esprit. Ceci est absolument unique. Il s’agit d’une vérité révélée, c’est-à-dire que l’homme n’aurait pas pu inventer cela, il fallait que Dieu se dévoile pour que l’homme le découvre. Par ailleurs, saint Jean nous dit que « Dieu est amour » (1Jn 4,16). Donc, c’est une évidence, l’amour est Père, Fils et Saint-Esprit. C’est une évidence et comme toutes les évidences, elle est difficile à voir. Le Dieu d’amour est trinitaire, c’est-à-dire qu’ils sont trois à être un. Ils sont réellement trois. Nous savons bien que le Père et le Fils se donnent éternellement l’un à l’autre, qu’ils sont unis dans l’Esprit qui est l’amour ; nous le redirons tout à l’heure. Mais prenons garde que cette formulation n’induise pas incidemment une dépersonnalisation de l’Esprit-Saint ; ce serait réduire la vie trinitaire à un face-à-face entre le Père et le Fils. Or ça n’est pas le cas. L’amour ne peut être réduit à un tête-à-tête. L’Esprit-Saint est réellement le lien de leur unité, mais il n’a rien d’abstrait. Il est une personne divine de la même manière que le Père et le Fils le sont. Ils sont trois à être un. Ils sont réellement trois, c’est-à-dire que dans l’amour, il y a toujours un tiers.
Jésus, nous l’avons vu pendant le temps pascal, a insisté pour ouvrir nos yeux et nos cœurs à la présence de ce tiers. Il l’a enseigné en se retirant. Souvenez-vous de l’inquiétude des disciples à la veille de la Passion, inquiétude d’être séparés du Seigneur sans pouvoir le rejoindre, sans même savoir où il va. « Il est bon pour vous que je m’en aille » (Jn 16,7), leur répondait Jésus. Son absence a la vertu éducatrice de l’amour. Elle permet de découvrir et d’introduire « un autre Défenseur », le Paraclet, elle ouvre la relation à un tiers, à un inconnu qui était pourtant déjà là.
Plus tard, au moment même de sa mort, c’est-à-dire au moment d’une terrible séparation, le Seigneur se tournait vers son disciple bien aimé, vers celui qui s’est penché sur son cœur et qui en connaît les mystères, et de nouveau il a introduit un tiers, il a présenté un autre à aimer, condition pour entrer pleinement dans un amour véritable du Seigneur : « Voici ta mère », a-t-il simplement dit en désignant Marie comme annonce prophétique de la place et du rôle de l’Esprit.
Enfin, dernier exemple, à Marie-Madeleine qui l’aimait follement et qui voulait se l’accaparer, Jésus ressuscité a dit : « ne me retiens pas ! Je vais vers mon Père et votre Père ». De nouveau, Jésus nous tourne vers une autre figure à découvrir et à aimer pour l’aimer, lui, en vérité.
Autrement dit, on ne peut prétendre aimer Jésus sans avoir l’Esprit-Saint pour maître et Seigneur. De même qu’on ne peut accueillir l’Esprit de Dieu sans s’attacher à Jésus-Christ. De même pour le Père. Nous voyons bien la dynamique : Jésus veut nous montrer qu’une relation strictement duelle est impossible dans l’amour.
Cette réalité est à prendre au sens le plus large, elle ne saurait être réduite ni à l’intimité de la vie trinitaire ni à l’amour que nous portons à notre Dieu. On ne peut en effet aimer la Sainte Trinité sans introduire un tiers que l’on appelle « frère ». Cela relève d’ailleurs de notre mission prophétique. C’est en nous aimant comme des frères que nous annonçons que nous avons tous un même Père, c’est à l’amour que nous nous portons que nous professons que Jésus est notre Seigneur et c’est à la délicatesse de notre charité que l’on reconnaît l’œuvre de l’Esprit-Saint.
Finalement, quand Jésus nous apprend à aimer, il nous oriente, au-delà nos amours spontanément intéressés, fusionnels ou possessifs, vers l’amour trinitaire, celui qui est notre vie, celui qui est notre béatitude. En somme, Jésus élargit notre cœur, il nous apprend à aimer de l’amour dont il aime ; Jésus nous donne l’amour de Dieu et il nous donne d’aimer comme Dieu. Ainsi, ce tiers dans la relation d’amour est simplement l’amour lui-même, en tant qu’il est une personne.
Avant de revenir au verset reçu dans l’évangile de ce jour, faisons une dernière étape et arrêtons-nous un instant au fameux « pros ton theon » du prologue de saint Jean. L’apôtre nous explique comment le Père et le Fils s’aiment dans un éternel face-à-face. Ceci nous enseigne la nature profonde de l’amour. Il s’agit d’un dialogue essentiel, d’un échange simple, où ils se donnent l’un à l’autre tout ce qu’ils sont, il s’agit d’un don réciproque où l’on se donne sans rien retenir. Ou plutôt, quand ils se sont entièrement donnés l’un à l’autre, il reste encore ce qui conduit le don mutuel à sa perfection et à sa pureté, c’est-à-dire laisser l’autre disposer entièrement de soi. Ne pas se contenter de se donner, mais se donner de telle manière qu’on laisse l’autre venir en soi, qu’on le laisse habiter en soi, disposant de toutes les ressources. Voilà l’amour trinitaire. Le Fils se donne au Père et le laisse disposer de lui ; et réciproquement. Cet extrême du don de soi appelle un détachement de la personne, un effacement. Pour celui qui se donne, évidemment, mais aussi pour celui qui reçoit. Le Père se recueille dans l’essence divine pour y accueillir son Fils et ce recueillement suppose le détachement de soi. Et l’Esprit jaillit de ce dessaisissement du Père et du Fils, partageant la même essence divine.
Là est le point important. Puisque l’échange du Père et du Fils est un échange d’amour, il ne peut aboutir qu’au don de la vie ; l’Esprit est, en personne, la vie divine. L’émission du souffle est le don de la vie dans l’abandon. Jésus nous donne la vie éternelle en s’abandonnant.
À notre échelle, cela veut dire aussi qu’on ne peut prétendre vivre l’amour à deux, sans s’ouvrir à la vie. Aimer, c’est vouloir vivre, c’est choisir la vie en la donnant. Il y a identité pratique entre l’amour et la vie. L’amour est la vie qui se donne. Aimer, c’est choisir la vie, choisir de donner la vie.
À l’échelle divine, cela montre que le face à face du Père et du Fils est le tout contraire d’une fusion. Un amour fusionnel n’est pas un amour, il est une perte de soi stérile ; l’amour est l’abandon de soi qui engendre la vie. L’amour divin ne peut être fusionnel puisque son dernier mot est l’abandon entier, c’est-à-dire le désir de laisser à la disposition de l’autre le plus profond de notre être. Voilà l’authentique désir de ne faire qu’un avec l’être aimé : laisser à la disposition de l’autre ce qui nous fait vivre.
Les phrases pour le dire sont un peu compliquées, mais au terme de notre parcours, il nous faut bien reconnaître que le fond de la vie divine est d’une telle simplicité qu’il n’y a rien à en savoir, sinon l’appel à donner sa vie entièrement.
Dieu est immense. Il est tout l’Être et Il est tout être. Il est la vie de tout ce qui vit. Il est pureté, Il est lumière, Il est vérité. Et tout ce qu’on peut en dire, c’est que Dieu EST, Dieu seul EST. Il n’y a de réalité que l’Être de Dieu. Rien n’existe hormis l’amour. C’est parce que c’est si simple, si profond, si immense, que le mystère de Dieu nous échappe. La seule attitude qui convienne est le silence de la contemplation et de l’adoration.
Aussi, frères et sœurs, choisissons pour chaque jour de cette semaine d’entrer plus profondément dans la vie divine qui est le fond des échanges entre les trois Personnes, c’est-à-dire, choisissons de nous laisser attirer personnellement dans le silence de Dieu, dans son repos et sa générosité, pour apprendre de lui le don de soi désintéressé, simple et tranquille. Accueillons de lui de nous laisser transformer en lui, de devenir enfin ce que nous recevons maintenant, dans son eucharistie.
Frère Dominique
Source : www.homelies.fr