Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 22,15-21.
Les pharisiens se concertèrent pour voir comment prendre en faute Jésus en le faisant parler. Ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des partisans d'Hérode : « Maître, lui disent-ils, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le vrai chemin de Dieu ; tu ne te laisses influencer par personne, car tu ne fais pas de différence entre les gens.
Donne-nous ton avis : Est-il permis, oui ou non, de payer l'impôt à l'empereur ? » Mais Jésus, connaissant leur perversité, riposta : « Hypocrites ! pourquoi voulez-vous me mettre à l'épreuve ? Montrez-moi la monnaie de l'impôt. » Ils lui présentèrent une pièce d'argent. Il leur dit : « Cette effigie et cette légende, de qui sont-elles ? - De l'empereur César », répondirent-ils. Alors il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible - © AELF, Paris
Rendre à César ce qui lui revient, aujourd'hui cela sonne à mes oreilles comme: rendre au monde ce qui appartient au monde. C'est l'activité principale de mon existence: passer du temps à essayer de gagner de l'argent, pour ensuite payer les factures; c'est une labeur assez vulgaire, quelque peu abrutissant (mais j'aurais tort de me plaindre: je ne travaille pas en usine), et qui comporte des envies de distraction qui peuvent conduire au péché.
Cependant, comme calqué par dessus la forme même que prend cet ouvrage - il s'agit pour moi d'achat et de vente, se calque une oeuvre, invisible, impalpable dont la sens profond dépasse largement les fins de mois difficiles, le discours politique et les prévisions pessimistes que les media diffusent.
C'est la messe matinale, c'est la courte réflexion personnelle sur l’Évangile du jour, c'est la prière. Que je sois debout, assis, couché, je prie assez souvent (je prie mal, mais je prie). C'est la rencontre des personnes qui viennent à la boutique. Combien de solitaires parmi eux, combien de déprimés, combien de malades - il ne faut pas grand chose pour apprendre que celui-ci souffre du diabète, que celui-là a vainement essayé de franchir la Manche pour entrer en Angleterre des gens de sa famille; qu'un autre, dont je n'aime pas les idées, vient d'être opéré d'un cancer et n'est pas vraiment mieux trois mois après son opération. Pour lui, je prie aussi.
En fait, tout en travaillant à ranger mes livres, chaque fois que l'on dépose ainsi un malheur sur un coin de mon bureau, je sais que c'est le Seigneur qui agit en quêtant de la miséricorde pour les plus petits d'entre ses frères. Cela me fait souvent jeter les bras au ciel, car le malheur déborde de partout... C'est, encore, ma souffrance de solitude, de ne plus pouvoir être compris ni trouver un refuge dans le coeur d'autrui - cette peine me relie d'ailleurs à toutes les autres, et elle peut s'offrir afin de renflouer quelque peu la prière défaillante.
Que je sois chaque jour objet de miséricorde, c'est ce qui m'étonne le plus, certains jours. Je reçois depuis deux mois déjà la visite d'un François qui fut un bon vivant, joyeux gaillard et coureur de jupons... mais le Seigneur l'a converti. Il s'est repenti et donne le maximum de son revenu à ses enfants, afin de réparer le tort qu'il leur a causé par sa vie de bohème. A présent, il s'assied dans un fauteuil devenu trop souple pour mon dos et que j'ai délaissé, et il ne dit rien. Il regarde et il écoute comment je réponds à certains clients. Il comprend mes difficultés et il m'assiste de manière parfois très concrète. (J'ai même reçu des conserves de nourriture, moi qui de mon côté, voudrais l'inviter à un petit resto.)
Et donc, on dirait une vie en Dieu, collée comme un très fin film transparent, invisible, sur la vie dans ce monde. César obtient la part qu'il réclame - et qui semble gonfler sans cesse, mais c'est à Dieu que j'ai des comptes à rendre, c'est à Dieu que je donne et c'est de sa Miséricorde que j'obtiens tout.
Les pharisiens et les partisans d'Hérode cherchent à piéger Jésus sur le thème: faut-il payer l'impôt. S'il avait répondu non, ils auraient pu l'accuser au nom de la religion; s'il avait répondu oui, c'est à Hérode - et donc à César qu'il eût désobéi. C'est ainsi, par des mots, que l'on cherche à s'emparer de Jésus, d'abord pour pouvoir le dénoncer publiquement. Mais la vie n'est pas limitée au monde, au siècle - la vie est au contraire illimitée et n'appartient qu'à Dieu. Je demeure donc confiant et, par delà les tumultes, je sais sur qui ma confiance est fondée.