Lettre du Bienheureux Père Charles de Foucauld à René Bazin de l'Académie Française, le 29 juillet 1916.
"Ma pensée est que si, petit à petit, doucement, les musulmans de notre empire colonial du nord de l'Afrique ne se
convertissent pas, il se produira un mouvement nationaliste analogue à celui de la Turquie : une élite intellectuelle se
formera dans les grandes villes, instruite à la française, sans avoir l'esprit ni le coeur français, élite qui aura perdu toute foi
islamique, mais qui en gardera l'étiquette pour pouvoir par elle influencer les masses.
D'autre part, la masse des nomades et des campagnards restera ignorante, éloignée de nous, fermement
mahométane, portée à la haine et au mépris des Français par sa religion, par ses marabouts, par les contacts qu'elle a
avec les Français (représentants de l'autorité, colons,commerçants), contacts qui trop souvent ne sont pas propres à nous
faire aimer d'elle. Le sentiment national ou barbaresque s'exaltera dans l'élite instruite : quand elle en trouvera
l'occasion, par exemple lors de difficultés de la France au dedans ou au dehors, elle se servira de l'islam comme d'un
levier pour soulever la masse ignorante, et cherchera à créer un empire africain musulman indépendant. L'empire nordouest-
Africain de la France, Algérie, Maroc, Tunisie, Afrique occidentale française, etc., a 30 millions d'habitants ; il en
aura, grâce à la paix, le double dans cinquante ans.
Il sera alors en plein progrès matériel, riche, sillonné de chemins de fer, peuplé d'habitants rompus au maniement de
nos armes, dont l'élite aura reçu l'instruction dans nos écoles. Si nous n'avons pas su faire des Français de ces peuples,
ils nous chasseront.
Le seul moyen qu'ils deviennent Français est qu'ils deviennent chrétiens. Il ne s'agit pas de les
convertir en un jour ni par force mais tendrement, discrètement, par persuasion, bon exemple, bonne éducation,
instruction, grâce à une prise de contact étroite et affectueuse, oeuvre surtout de laïcs français qui peuvent être bien
plus nombreux que les prêtres et prendre un contact plus intime.
Des musulmans peuvent-ils être vraiment français? Exceptionnellement, oui. D'une manière générale, non. Plusieurs
dogmes fondamentaux musulmans s'y opposent; avec certains il y a des accommodements; avec l'un, celui du Medhi, il
n'y en a pas : tout musulman, (je ne parle pas des libres-penseurs qui ont perdu la foi), croit qu'à l'approche du jugement
dernier le Medhi surviendra, déclarera la guerre sainte, et établira l'islam par toute la terre, après avoir exterminé ou
subjugué tous les non musulmans. Dans cette foi, le musulman regarde l'islam comme sa vraie patrie et les peuples non
musulmans comme destinés à être tôt ou tard subjugués par lui musulman ou ses descendants ; s'il est soumis à une
nation non musulmane, c'est une épreuve passagère ; sa foi l'assure qu'il en sortira et triomphera à son tour de ceux
auxquels il est maintenant assujetti ; la sagesse l'engage à subir avec calme son épreuve; "l'oiseau pris au piège qui se
débat perd ses plumes et se casse les ailes ; s'il se tient tranquille, il se trouve intact le jour de la libération", disent-ils ;
ils peuvent préférer telle nation à une autre, aimer mieux être soumis aux Français qu'aux Allemands, parce qu'ils savent
les premiers plus doux; ils peuvent être attachés à tel ou tel Français, comme on est attaché à un ami étranger; ils
peuvent se battre avec un grand courage pour la France, par sentiment d'honneur, caractère guerrier, esprit de corps,
fidélité à la parole, comme les militaires de fortune des XVIe et XVIIe siècles mais, d'une façon générale, sauf exception,
tant qu'ils seront musulmans, ils ne seront pas Français, ils attendront plus ou moins patiemment le jour du Medhi, en
lequel ils soumettront la France.
De là vient que nos Algériens musulmans sont si peu empressés à demander la nationalité française : comment demander à
faire partie d'un peuple étranger qu'on sait devoir être infailliblement vaincu et subjugué par le peuple auquel on
appartient soi-même? Ce changement de nationalité implique vraiment une sorte d'apostasie, un renoncement à la foi
du Medhi..."
Charles de Foucauld.
Commentaire :
Tout est dit des problèmes majeurs que rencontrent nos sociétés occidentales à intégrer leurs citoyens musulmans.
Ce texte écrit en 1916 fait ressortir par sa justesse, une lucidité et une clairvoyance dont nous ferions
bien de nous inspirer dans les temps troublés que nous vivons...