Les brebis
Le thème des brebis et du berger est fréquent dans l'Ancien Testament. Tous les chrétiens ont chanté le psaume 22 : « Tu es mon berger, Ô Seigneur, rien ne saurait me manquer... »
Jésus reprend ce thème dans une scène pastorale pleine de fraîcheur et de tendresse.
Les brebis sont paisiblement dans leur enclos. Elles se croient protégées, mais voilà qu'un loup, un voleur escalade le mur et c'est la panique. Chacun de nous a ses voleurs de paix : une relation, une addiction, une amertume, une jalousie... qui entre par effraction dans le plus intime. Jésus, lui, entre par la porte, sans se cacher. Le voilà dans l'enclos, avec ces brebis dont il est le berger. Elles lui appartiennent, non pas jalousement comme les amoureux parfois, mais comme le berger qui prend soin d'elles. Il les appelle chacune par leur nom et chacune se sent reconnue, aimée.
Je me souviens avec émotion d'une jeune femme catéchumène qui se sentait la « petite brebis aimée de Dieu ». Elle avait eu une enfance sans amour, elle savait que sa mère ne l'avait pas désirée. Elle vivait dans une barre d'immeubles de banlieue, dans une situation de grande précarité, et elle avouait qu'il lui arrivait encore de « piquer le sac d'une vieille dame » ; mais elle n'était pas inquiète : « Dieu me pardonnera soixante-dix fois sept fois ». Elle parlait de Lui comme une amoureuse. Ses bras se lovaient comme pour embrasser un bébé et elle disait : « Je suis certaine qu'il m'aime ; il me donne l'amour que je n'ai pas eu. Si je suis née, moi, Sandrine S., c'est qu'il m'a voulue et aimée. Il me dit : « Sandrine, tu es ma petite brebis ».
Mais pour entendre l'appel si doux de son nom, il ne faut pas bloquer la porte de son coeur, il ne faut pas s'enfermer dans l'enclos de son ego ! Ce n'est pourtant jamais désespéré, le portier aide la porte à s'ouvrir. Le portier, c'est l'Esprit, le « maître de l'impossible » comme titrait un beau livre de Paul Dagens. Le portier ouvre les portes des oreilles et des coeurs, car elles y sentent de l'amour et de la bienveillance. Si l'on a souvent si peur de l'intrusion de Dieu, c'est parce qu'on le conçoit comme un voleur qui va s'introduire dans notre intimité pour y faire la loi. Mais non, n'ayons pas peur ! Il est plus nous-mêmes que nous-mêmes.
Jésus connaît et aime ses brebis, et ses brebis « connaissent » sa voix. On sait la profondeur de la résonance de ce verbe 'connaître' en hébreu. Ce n'est pas une connaissance de carte d'identité, mais une connaissance d'amour. Connaître quelqu'un, c'est avoir une union intime avec cette personne. Jésus est un berger amoureux qui ne retient pas prisonnières ses brebis qu'il aime, puisqu'il les fait sortir. Et si elles le suivent, c'est parce qu'elles connaissent sa voix et que cette voix éveille la confiance et le désir.
Ce n'est pas le cas des pharisiens : ils ne comprennent rien à cette histoire de brebis.
Alors, Jésus reprend avec encore plus de force : le berger ne se contente plus d'entrer par la porte, il EST la porte ! Pour entrer dans l'enclos de l'Amour – ou du Royaume – il faut passer PAR lui, par lui qui se donne dans son incarnation, dans sa mort et sa résurrection. Il faut passer par cette relation de communion.
Ne vous trompez pas de porte semble dire Jésus. Il y a tant de voleurs rusés, tant de pensées qui viennent déguisées, envahir votre intériorité. Ces portes-là sont tellement plus faciles et tentantes !
Passer par Jésus, avec Jésus, n'est pas un piège, mais un chemin qui donne la vie, qui sauve. Jésus n'enferme pas dans un enclos. Il libère de l'enclos pour faire accéder aux pâturages. Et celui qui entre par Jésus ne sera pas prisonnier. « Je suis la porte ; si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé, il ira et viendra et trouvera de quoi se nourrir.
Moi qui ai tellement peur de perdre ma liberté si je passe par Jésus, si je m'en remets à Dieu, il faut que j'entende ces deux petits verbes si doux : « Il ira et viendra », il sera enfin libre.
La parabole se change maintenant en révélation. « Je suis le bon pasteur, je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent comme le Père me connaît et que je connais le Père ». La relation à laquelle Jésus nous invite n'est rien moins que celle qu'il a avec son Père, une relation d'amour infini.
Ce bon pasteur, contrairement au mercenaire qui fuit quand il voit le loup, se laissera dévorer plutôt que d'abandonner ses brebis. Jésus ne fuit pas le mal que les hommes sont capables de générer, même s'il doit en mourir : « Je donne ma vie pour mes brebis ». Le bon pasteur aime tellement ses brebis qu'il se dessaisit de sa vie pour elles. Et pas seulement pour celles de l'enclos, mais aussi pour celles qui n'en sont pas. Jésus désire être le bon pasteur pour tous. Le mal qui dévaste sans cesse l'humanité ne cesse de clouer le bon pasteur sur la croix de la souffrance de voir ses brebis s'entre-tuer. Et il en meurt.
Encore les pharisiens : « Il est possédé, il déraisonne ! »
La parabole du bon berger, ils l'entendent sans la comprendre car ils ne sont pas de la bergerie, c'est-à-dire dans l'abandon confiant au berger : « Vous ne croyez pas, parce que vous n'êtes pas de mes brebis ». Pour croire, il faut, comme les brebis, comme Sandrine, se laisser prendre dans les bras du berger, se laisser aimer ! Il y a les paroles que tout le monde entend et les signes que tout le monde voit... pourtant, il y a des yeux qui ne voient pas et des oreilles qui n'entendent pas. Ceux qui entendent et comprennent et croient, ce ne sont pas les intelligents, ce sont les brebis qui reconnaissent le maître à sa voix, qui obéissent à l'ordre car elles savent qu'il sera bon pour elles, qui suivent le bon pasteur.
Un autre passage de l'Evangile parle de l'amour du berger pour sa brebis perdue. Il laisse toutes les autres pour partir à sa recherche car il ne peut pas supporter qu'une seule de ses brebis se perde ; et quand il la retrouve, sa joie est infinie.
« Je viens chercher moi-même mon troupeau, pour en prendre soin », disait Ezéchiel. (...) La bête perdue, je la chercherai ; celle qui se sera écartée, je la ferai revenir ; celle qui aura une patte cassée, je lui ferai un bandage ; la malade, je la fortifierai... »
Monique Hébrard
Ed. DDB