Sermon 13
(Paris, 14 juillet 1269)
Attendite a falsis : Méfiez-vous des faux prophètes!
(Traduction par Marie-Louise Évrard et Père Louis-Jacques Bataillon op, 2004)
http://jesusmarie.free.fr/thomas_d_aquin_sermons.html#_Toc111128807
Première partie
[Identifier l’ennemi]
Méfiez-vous des faux prophètes, etc.
Il relève de la fonction du bon chef de rendre ses soldats prudents contre des embûches. Il est vrai que notre ennemi est perfide et rusé. Ainsi, dans le Siracide 11, 31 : Nombreuses sont les ruses de l’homme perfide. Il siège au milieu des ruses avec les riches (Psaume 10,
, c’est-à-dire avec les orgueilleux. Ces ruses, l’Apôtre les explique (en 2 Corinthiens 11, 14), en disant que Satan se déguise en ange de lumière et ses ministres, en ministres de justice. À l’égard de ces ministres, Dieu nous rend prudents par les paroles proposées dans lesquelles il nous enseigne quatre choses.
Premièrement, en effet, il nous apprend le genre d’ennemis : Gardez-vous des faux prophètes. En deuxième lieu, il nous renseigne sur la manière de tendre les embûches : Ceux qui viennent à vous, déguisés en brebis. En troisième lieu, vient le préjudice qui nous menace : Au-dedans, ce sont des loups rapaces. En quatrième lieu, il nous apprend la manière de les reconnaître : Vous les reconnaîtrez à leurs fruits.
Ces ennemis sont les faux prophètes, et ils sont très dangereux, et ils doivent être évités pour cette raison, car ils sont pour nous aussi dangereux que les bons anges nous sont nécessaires et utiles. Ainsi, dans les Proverbes (11, 14) : Quand la prophétie fait défaut, le peuple sera en déroute. Des faux prophètes, il est dit en Jérémie (23, 15) : Venant des prophètes de Jérusalem, l’impiété s’est répandue sur la terre.
Pour savoir qui sont les faux prophètes, voyons d’abord ce qu'est laprophétie et comment il arrive d'êtrefaux prophète.
Je dis que quatre choses font partie de la prophétie.
La première est la révélation divine; ainsi, en Amos (3, 7) : Le Seigneur Dieu ne parle pas, si ce n’est pour révéler son secret à ses prophètes.
Parfois, certaines choses sont divinement révélées à une personne, mais celle-ci ne comprend pas, comme lorsque Nabuchodonosor vit une statue (Daniel 2, 31) et lorsque quelque chose fut révélé à Pharaon, quand il vit des épis et du bétail, mais il n’a pas compris (Genèse 41, 5). Voilà pourquoi, en deuxième lieu, l’intelligence est nécessaire. Ainsi, en Daniel (10, 1) : La parole fut révélée à Daniel et il en comprit le sens. L’intelligence est donc nécessaire au milieu des visions.
Si un homme avait une révélation venant de Dieu et, alors qu’il la comprendrait, la gardait pour lui-même, elle ne serait alors d’aucune utilité. Pour cette raison, en troisième lieu, il est nécessaire que ce qui est ainsi révélé et qu’on comprend soit annoncé à un autre. Isaïe (21, 10) : Ce que j’ai appris du Dieu des armées d’Israël, je vous l’ai annoncé.
Certaines choses qui dépassent l’entendement humain sont divinement révélées et annoncées, mais les hommes ne (les) croiraient pas si elles n'étaient pas prouvées. La preuve en est l’accomplissement miracles. C’est ce qui est signifié dans les Rois (II [IV],5,
, où il est raconté que, alors que Naaman le Syrien était venu pour être guéri de sa lèpre chez le roi d’Israël, Élisée dit : Envoie-le moi, afin qu’il sache qu’il y a un prophète en Israël.
Mais, selon ce qui a déjà été dit, le nom de prophète s’entend de quatre façons.
Parfois, on appelle prophète celui à qui la révélation divine est faite. Ainsi, dans les Nombres (12, 6) : S’il y a parmi vous un prophète du Seigneur, je lui parlerai en songe pendant son sommeil.
Mais parfois on appelle prophète celui à qui n’a pas été faite une révélation divine, mais à qui il est donné de comprendre les choses révélées. Ainsi, dans la Première aux Corinthiens (14, 29) : Qu’il y ait deux ou trois prophètes qui parlent et que les autres discernent. Il appelle prophètes les docteurs et les prédicateurs, selon ce passage du Siracide (24, 33) : Les docteurs répandront mon enseignement comme une prophétie.
D’autres sont appelés prophètes parce qu’ils racontent les choses révélées ; ainsi dans les Chroniques (I, 25, 1) : Les fils d’Asaph et Idithun prophétisaient.
D’autres sont appelés prophètes parce qu’ils font des miracles. Ainsi, il est dit dans le Siracide (48, 14) que le corps défunt d’Élisée prophétisa,c’est-à-dire qu’il accomplit un miracle prophétique. Dans le livre des Rois (II [IV], 13, 21), il est dit que des bandits effrayés jetèrent le cadavre de quelqu’un qui avait été tué, dans le tombeau où reposait Élisée, et que [le corps] revint à la vie. Et, comme il est dit dans l’évangile, lorsque le Christ fit des miracles, les Juifs dirent : Un grand prophète s’est levé parmi nous! (Luc 7, 16).
Il est donc dit: Gardez-vous, etc. Mais quel est le sens du mot prophète ici ? Chrysostome dit qu'ont appelle ici prophètes, non pas ceux qui prophétisent au sujet du Christ, mais ceux qui interprètent une prophétie au sujet du Christ. Car personne ne peut interpréter les sens prophétiques si ce n’est par l’Esprit Saint.
Voyons qui on appelle faux prophètes. Il arrive que la prophétie soit fausse de quatre façons. Premièrement, par la fausseté de l’enseignement ; deuxièmement, par la fausseté de l’inspiration ; troisièmement, par la fausseté de l’intention ; et quatrièmement, par la fausseté de la vie.
En premier lieu, certains sont appelés faux prophètes par à cause de la fausseté de (leur] enseignement, comme lorsqu’ils annoncent et enseignent des choses fausses. Il est de la fonction du prophète qu’il annonce et dise des choses vraies. Ainsi, en Daniel (10, 1), une parole fut révélée à Daniel, et c’était une parole vraie. Et le Seigneur dit : Si quelqu’un annonce mes paroles, qu’il parle en vérité. Mais beaucoup annoncent des choses fausses. Ainsi, dans la épître canonique (II Pierre 2, 1) : Il y a eu des faux prophètes dans le peuple, et parmi vous. il y aura des maîtres mensongers qui ne craignent pas de susciter des sectes de perdition . Arius et ses semblables n'ont-ils pas été des menteurs qui ont voulu corriger l’enseignement du Christ. Ainsi, en Lamentations (2, 14) : Tes prophètes n'ont vu que des faussetés et à des sottises. Mais quelles sottises? Celui qui parle volontiers de choses fausses dira ce qui plaît. Isaïe (30, 10) : Dites-nous des choses qui nous plaisent, ayez pour nous des visions illusoires. Jérémie, interrogé sur les choses qu’ont vues les faux prophètes, dit (Lam. 2, 14) : Ils n'ont pas montré ton iniquité pour te ramener à la pénitence. Si certains disent que le bien est le mal et que le mal est le bien, ce sont des faux prophètes. Jérémie [dit](Lam. 2, 14) : Ils ont vu de fausses affirmations et de faux refus. Ce qui est affirmé est élevé et ce qui est refusé est condamné. Quand donc ce qui doit être élevé est rabaissé et ce qui doit être abaissé est élevé, alors, on voit de fausses affirmations.
Par l’enseignement du Seigneur apparaît ce qui doit être élevé et ce qui doit être abaissé. Le comportement du siècle et la vie du monde doivent être rabaissés. Si quelqu’un dit qu’il vaut mieux jeûner sans vœu qu’avec vœu et en empêche d’autres d’entrer en religion, où l’on jeûne avec vœu, et les convainc de jeûner sans vœu dans le siècle, il donne un faux enseignement. Le prophète dit : Faites un vœu et accomplissez-le! (Psaume 76[75], 12). Il dit cela parce qu’il vaut mieux jeûner en faisant un vœu que sans vœu. Anselme prend un exemple dans son Livre sur les similitudes, en disant que «celui qui donne un arbre avec ses fruits donne plus que celui qui ne donne que les fruits». Ainsi, celui qui fait un vœu et l’accomplit fait mieux que celui qui fait le bien sans vœu. Toutefois, il vaut mieux ne pas faire de promesse que de ne pas exécuter les choses promises (Qohélet 5, 4).
De même, on parle de faux prophètes en raison de la fausseté de l’inspiration. D’où vient l’inspiration des vrais prophètes? Certainement de Dieu et de l’Esprit Saint. Ainsi, dans la deuxième lettre de Pierre (1, 21) : Aucune prophétie ne vient d'une volonté personnelle, mais c’est inspirés par l’Esprit Saint que les saints hommes de Dieu ont parlé. On peut être inspiré faussement par le diable, on peut l'être aussi par son propre esprit. Nous trouvons les deux choses dans la Sainte Écriture.
Premièrement, je dis que quelque chose de faux peut être inspiré à quelqu’un par le Diable. Ainsi, dans Jérémie (2,
: Ses prophètes ont prophétisé au nom de Baal. Prophétiser au nom de Baal, c’est-à-dire au nom du Diable, c'est révéler des choses secrètes. Les nécromanciens qui recherchent la vérité à propos de vols, prophétisent au nom de Baal sous l’inspiration du Diable, et c’est là le plus grave des péchés, une espèce d’idolâtrie. Et ils ne sont pas excusés par le fait qu’ils disent qu’ils font cela pour faire le bien, car le mal ne doit pas être fait en vue du bien. Ainsi en Romains (3,
: Ferions-nous le mal pour qu’en sorte le bien? Ceux-là méritent leur condamnation.
D’autres tirent une inspiration fausse de leur propre esprit. Ainsi Ezéchiel (13, 3) : Le Seigneur dit : «Malheur aux prophètes insensés qui suivent leur propre esprit sans rien voir!» Jérémie (23, 16) : Ils débitent les visions de leur cœur, non de la bouche du Seigneur. Ceux qui suivent la raison humaineparlent selon leur propre esprit. Tels sont ceux qui parlent selon les raisonnement platoniciens, qui ne peuvent atteindre la vérité : par exemple, ceux qui disent que le monde est éternel. On trouve des gens qui s’appliquent à la philosophie et qui disent certaines choses qui ne sont pas vraies selon la foi; et quand on leur dit que cela est contraire à la foi, ils disent que le Philosophe dit cela, mais eux ne l'affirment pas, mis ne font que répéter les mots du Philosophe. Un tel homme est un faux prophète, un faux docteur, car c’est la même chose de susciter un doute et de ne pas le supprimer, que d’y acquiescer; C'est ce qui est signifié dans l'Exode (21, 33?34), où il est dit que si quelqu'un creuse un puits ou ouvre une citerne et ne la rebouche pas, si le bœuf du voisin vient et tombe dans la citerne, celui qui a ouvert la citerne sera tenu à restitution. Celui qui a ouvert la citerne, c’est celui qui suscite une difficulté dans ce qui concerne la foi. Celui qui n’a pas couvert la citerne, c’est celui qui ne résout pas la difficulté, même si lui-même a un esprit clair et sain et qu’il n’est pas égaré. Cependant, un autre qui n’a pas l’esprit aussi clair est réellement trompé, et celui qui suscite le doute est tenu à restitution, car c’est à cause de lui que l’autre est tombé dans la fosse.
Voyez, très chers [frères] : il y a eu beaucoup de philosophes et ils ont dit beaucoup de choses à propos de choses qui concernent la foi, et vous en trouverez à peine deux qui soient d'accord sur un seul point ; et tous ceux qui ont dit quelque chose de vrai ne l’ont pas dit sans y mélanger quelque fausseté. Une petite vieille en sait bien plus aujourd'hui sur ce qui se rapporte à la foi que tous les philosophes de jadis! On raconte que Pythagore fut d’abord boxeur. Il entendit un maître disserter sur l’immortalité de l’âme et affirmer que l’âme était immortelle, et il fut si séduit que, abandonnant tout le reste, il se consacra à l’étude de la philosophie. Mais quelle est la petite vieille qui ne sait pas aujourd’hui que l’âme est immortelle? La foi est beaucoup plus puissante que la philosophie; par conséquent, si la philosophie s’oppose à la foi, il ne faut pas l’accepter. Aussi l'Apôtre dit aux Colossiens (2, 8 et 19) : Veillez à ce que personne ne vous trompe par l’emprise de la fausse philosophie ou ne vous séduise par la vaine gloire qui est aveugle, en marchant plus vite que ne le permet le souffle de sa chair, sans garder la tête, c’est-à-dire le Christ.
D’autres sont faux prophètes par une intention fausse. Mais quelle est l’intention vraie d'un prophète? Certainement l’intérêt du peuple. Ainsi l'Apôtre aux Corinthiens (I 14, 13) : Celui qui prophétise parle aux hommes pour les édifier, les exhorter et les consoler. Pour les édifier, afin de rendre les hommes pieux; pour les exhorter, afin de les rendre prompts aux bonnes œuvres; pour les consoler, afin de les rendre patients dans les difficultés. Si quelqu’un recherche par son enseignement autre chose que l’intérêt du peuple, c’est un faux prophète.
Celui qui est évêque reçoit la fonction d’administrer et de prêcher, et il doit rechercher l’intérêt du peuple; mais s’il ne recherche que le profit temporel ou une vaine gloire, il est un faux prophète parce qu'il ne respecte pas une intention droite. C’est ainsi que Jean Chrysostome dit que de nombreux prêtres ne se soucient pas de la manière dont vit le peuple, mais de la manière dont il fait des offrandes. Ainsi le Seigneur se plaint en Ezéchiel (13, 19) : Ils me déshonorent pour quelques poignées d’orge et un morceau de pain, à l’opposé de ceux dont parle l’Apôtre aux Corinthiens (II 2, 17) : Nous ne sommes pas comme le plus grand nombre qui altèrent la parole de Dieu. Et Grégoire dit qu’«celui-là est coupable de pensée adultère, s’il cherche à plaire aux yeux de l’épouse, lui par qui l’époux transmet les cadeaux à l’épouse». L’adultère ne cherche pas à donner une descendance à la femme, mais recherche avant tout le plaisir corporel. De la même manière, celui-là trahit la parole du Seigneur, qui ne recherche pas une descendance spirituelle, mais seulement un profit temporel ou une vaine gloire.
De même, il y a des faux prophètes en raison de leur mauvaise vie, comme lorsque quelqu’un enseigne une chose et vit d’une autre manière ; alors, leur doctrine n'est pas reçue. Et c’est pour cela que le Christ commence à agir et à enseigner. Et on lit en Luc (1, 10) : Comme il a parlé par la bouche des saints qui sont ses prophètes depuis des siècles, comme s’il disait :«Les prophètes par lesquels s’exprime le Seigneur doivent être saints»; mais il y a certains dont se plaint le Seigneur en Jérémie (23, 11) : Prêtres et prophètes, dit-il, sont impies, dans ma maison; j’ai vu leur malice. Prions le Seigneur, etc.
Que Jésus Miséricordieux vous bénisse
ami de la Miséricorde