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| Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas | |
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Auteur | Message |
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ami de la Miséricorde Martyr du forum
| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Mar 5 Sep 2017 - 20:01 | |
| XVII. DU DÉMON APPELÉ NEGOTIUM, OU TRAFIC SE MOUVANT DANS LES TÉNÈBRES
(...) Pour en finir avec ce démon que le prophète appelle « trafic se mouvant dans les ténèbres », je vous dirai, mon cher neveu, que si un homme désire servir Dieu et lui plaire, s'il préfère perdre ses biens plutôt que de déplaire à Dieu, s'il est prêt à tout abandonner au cas où Dieu le lui ordonnerait, s'il est prêt à supporter patiemment de voir Dieu lui retirer tout, s'il s'efforce d'employer ses biens comme il plaît à Dieu, s'il essaie de s'informer pour savoir comment en user pour plaire à Dieu, s'il écoute de temps en temps les conseils d'hommes vertueux, eh bien ! même si cet homme n'abandonne pas tous ses biens, même s'il ne donne pas à tous ceux qui lui demandent, même si, dans son entourage, on pense que la charité qu'il fait est beaucoup trop peu, pourtant, malgré tout, cet homme peut espérer en l'aide de Dieu. La vérité de Dieu l'entourera comme un bouclier (Ps., 91), il n'aura plus à craindre les pièges et les tentations du démon que le prophète appelle « trafic se mouvant dans les ténèbres ». Malgré toutes ses richesses, il évitera les pièges et les tentations, si bien que, par la grâce du Dieu tout-puissant, il finira bien par aller en paradis.
Je pensais, mon cher neveu, qu'après ce discours je commanderais mon déjeuner, mais voyez : je n'aurai même pas à le faire, car voici qu'on me l'apporte déjà.
VINCENT : Vraiment, mon oncle, il semble que Dieu dirige lui-même votre emploi du temps !
ANTOINE : Mon cher neveu, nous allons dire le bénédicité et, pendant un moment, nous interromprons notre conversation pour savourer notre repas. Ensuite, vous connaissez mon habitude, je ne vous dirai pas adieu, je disparaîtrai pour dormir. Mais vous savez que je ne dors jamais longtemps dans l'après-midi. Après quoi, nous achèverons notre conversation à loisir.
VINCENT : Je vous en prie, mon oncle, reposez-vous comme vous en avez l'habitude, sans vous inquiéter de moi. Je profiterai de ce moment pour faire une course.
ANTOINE : VOUS ferez comme il vous plaira. Mais, je vous en prie, ne restez pas trop longtemps parti.
VINCENT : Soyez sans crainte, mon oncle, j'ai trop envie de connaître la dernière partie. (...)
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Jeu 7 Sep 2017 - 4:19 | |
| LIVRE III DU DIALOGUE DU RÉCONFORT DANS LES TRIBULATIONS
VINCENT : J'ai quelque peu tardé, mon oncle, parce que je craignais de vous importuner par une visite trop matinale, mais surtout je fus retardé par quelqu'un qui m'a montré une lettre datée de Constantinople. Par cette lettre, il apparaît que le Grand Turc prépare une armée d'une très grande puissance. Contre qui veut-il la lancer ? Personne n'en sait rien. Mais je crains bien que ce ne soit contre nous. Pourtant, notre informateur dit que le bruit court sous le manteau, à Constantinople, que cette armée doit embarquer en direction de Naples ou de la Sicile.
ANTOINE : Cher neveu, une lettre d'un Vénitien, datée de Constantinople peut très bien avoir été rédigée à Venise. Il arrive des missives de Venise ou de Rome, ou d'ailleurs encore, qui toutes annoncent que les Turcs sont sur le point d'attaquer. En réalité ceux qui répandent de telles nouvelles ne poursuivent d'autre fin que d'avancer leurs propres affaires.
D'autre part, le Grand Turc tient en réserve une telle quantité de soldats qu'il est bien obligé de les faire changer de cantonnement, de les diviser, et de les regrouper différemment, de crainte qu'ils ne se connaissent trop bien entre eux ou n'imaginent quelque nouveauté. Ce lui est aussi un moyen de tromper ses adversaires, de les empêcher de se préparer à lui résister. Ceux-ci, en effet, lui voient un visage belliqueux alors qu'il n'a nulle intention de passer à l'offensive, si bien que lorsqu'il attaque effectivement, on ne le craint plus.
Il n'en est pas moins probable, cher neveu, qu'il se dirigera vers le royaume de Hongrie. Il n'y a, pour lui, dans toute la chrétienté, proie plus tentante ni plus facile. Et d'ailleurs, nous l'appelons parmi nous, comme les moutons d'Esope prièrent le loup de les garder des chiens.
VINCENT : Alors, cher oncle, nous devons nous attendre à subir toutes ces épreuves dont je vous ai parlé dans notre première conversation.
ANTOINE : Cela ne peut manquer d'arriver, cher neveu, mais pas tout de suite, car le Grand Turc nous envahira sous couleur de soutenir un parti contre l'autre. Il ne se découvrira que plus tard, quand l'occasion lui en sera fournie. Vous verrez que cette occasion il l'aura directement et sans laisser à l'adversaire le temps de se ressaisir.
VINCENT : Pourtant, cher oncle, on dit qu'il n'oblige personne à abandonner sa foi.(...)
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Jeu 7 Sep 2017 - 19:11 | |
| LIVRE III DU DIALOGUE DU RÉCONFORT DANS LES TRIBULATIONS ANTOINE : Personne ? Cher Vincent, ceux qui vous ont informé de la sorte, en disent plus qu'ils n'en peuvent savoir. Le Grand Turc, au cours de la cérémonie de l'investissement, fait solennellement le serment d'affaiblir la chrétienté et de répandre la religion de Mahomet.
Pourtant, ce n'est pas sa manière d'obliger tous les habitants d'un pays à abjurer simultanément leur foi. Il lui est arrivé, dans certaines régions, de prélever un tribut annuel et de laisser les habitants vivre comme ils l'entendaient.
Dans d'autres, les Turcs emmènent toute la population et la dispersent dans des régions à eux et les gens sont ainsi réduits en esclavage, très loin de chez eux, sans espoir de retour. Dans les pays très peuplés, il détruit la noblesse et donne le pays en partie à ceux qu'il amène avec lui, en partie à ceux qui acceptent d'abjurer leur foi. Les autres, il les maintient dans une telle misère qu'il eût mieux valu pour eux qu'ils fussent morts au moment de l'invasion. Il ne tolère les chrétiens que s'ils se font marchands, ou s'ils l'aident dans ses guerres.
Dans les pays chrétiens qu'il ne traite pas en vassaux, comme Chypre, Chio et la Crète, mais qu'il considère comme une véritable conquête et occupe totalement comme la Morée, la Grèce, la Macédoine, et d'autres parmi lesquels se rangera, je le crains, la Hongrie, dans tous ces pays il traite les chrétiens de différentes façons.
On les laisse où ils sont, parce qu'ils seraient trop nombreux pour qu'on puisse les emmener tous, ou les tuer tous, à moins que les occupants ne veuillent dépeupler la région et y transplanter des populations turques. Ceux qui ne veulent pas abjurer la religion du Christ (que son nom soit béni et qu'il nous garde dans la foi !) le Turc les laisse vivre en paix.
Mais il ne s'agit pas d'une paix véritable. Il ne leur permet la possession d'aucune terre, ils ne peuvent avoir aucune charge honorable ; et, sous prétexte de guerres, ils sont écrasés d'impôts. On leur arrache leurs enfants et on en abuse.
Des jeunes filles on fait des prostituées, les garçons deviennent soldats, parfois on les fait châtrer, non pas par l'ablation partielle des organes génitaux, comme on le faisait dans l'antiquité, mais en les amputant totalement. Combien survivent, on ne s'en soucie nullement. Et tous ceux qui sont enlevés jeunes à leurs parents sont confiés à des Turcs ou à des renégats, si bien que tous renient la foi du Christ. (...)
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Ven 8 Sep 2017 - 19:40 | |
| LIVRE III DU DIALOGUE DU RÉCONFORT DANS LES TRIBULATIONS
ANTOINE : (...) Il arrive aussi que les chrétiens soient traités de telle façon qu'ils ont en vérité une triste fin. Car, en plus des tracasseries que les chrétiens renégats infligent aux bons chrétiens qui persévèrent dans leur foi, ils trouvent moyen parfois de faire dire par des gens à leur solde que tel ou tel chrétien a prononcé des paroles injurieuses envers Mahomet. Ce faux témoignage sera pour eux l'occasion d'obliger ce chrétien à renier le Christ et à le forcer à embrasser leur honteuse religion, sans quoi ils le mettront à mort, dans de cruels tourments.
VINCENT : Que le Seigneur dans sa grande miséricorde nous garde de ces misérables ! Car, par ma foi, s'ils viennent par ici, il me semble à plus d'un signe que je vois des gens prêts à leur tomber dans les bras. Comme on voit avant l'orage, la mer s'agiter et mugir même avant que le vent s'élève, ainsi il me semble que j'entends autour de moi des gens qui, naguère encore, haïssaient le nom de Turc autant que le nom du diable, commencer à lui trouver bien peu de défauts et, même insensiblement, se mettre à le louer autant qu'ils le peuvent, et à critiquer la chrétienté à tous les échelons : les prêtres, les princes, les rites, les cérémonies, les sacrements, les lois, les coutumes spirituelles, temporelles et tout ce que fait l'Église.
ANTOINE : En vérité, mon cher neveu, c'est ainsi que nous nous comportons depuis peu. Les choses se sont gâtées dans ce pays depuis que la couronne a été mise en question. La Hongrie continuera à aller à vau-l'eau aussi longtemps que les gens se tourneront vers des idées de changement et de subversion. Je n'aime pas que leurs paroles les portent au-devant du Grand Turc, eux qui le haïssaient naguère, comme devrait le faire tout vrai chrétien.
On dit à Buda, (et je suis assez âgé pour vous affirmer que cela s'est vérifié) que lorsque les enfants se mettent à jouer à l'enterrement, à faire le simulacre de porter des corps à l'église et de chanter à leur façon enfantine un chant funèbre, on dit alors qu'un grand malheur est proche. Deux ou trois fois, je m'en souviens, des enfants se sont groupés et ont joué à se battre comme de véritables soldats ; et après ces batailles pour rire, assez violentes toutefois pour que des marmots y fussent blessés, de véritables guerres ont éclaté. Vous parliez tout à l'heure de la mer et des signes avant-coureurs de la tempête, on pourrait en rapprocher ces deux formes de présages dont le sens secret nous échappe.
Mais, par sainte Marie, mon neveu, je n'aime pas ces présages, je ne parle pas des jeux des enfants, mais des paroles répandues à si haute voix en faveur de Mahomet dans ce royaume de Hongrie, qui fut jusqu'à présent un bastion de la chrétienté. Je crains fort que les Turcs ne mettent que quelques années à conquérir le pays tout entier. (...)
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Sam 9 Sep 2017 - 19:28 | |
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VINCENT : Mais j'ai foi en le Christ, mon cher oncle, Il ne souffrira pas que cette abominable secte de ses mortels ennemis l'emporte sur les pays chrétiens.
ANTOINE : Bien dit, mon cher neveu ! Mettons en lui notre espoir et nous serons assurés de ne pas être déçus, car nous obtiendrons de lui, soit ce que nous avions demandé, soit une chose meilleure. Car Dieu ne nous envoie pas toujours ce que nous espérions. Je vous l'avais déjà dit dans notre premier entretien ! sauf en ce qui concerne le ciel, notre prière ni notre espoir ne doivent être trop précis, même si nous demandons une grâce tout à fait légitime.
En vérité, si nous autres chrétiens étions tels que Dieu nous souhaite, je ne craindrais pas les préparatifs du Grand Turc, pas plus que je ne doute que, finalement, aussi bas que soit tombée la chrétienté, elle se relèvera quand le moment sera venu, proche du jour du jugement, qui, je le crois à certains signes, est encore assez éloigné. Mais peu avant ce moment, la chrétienté souffrira beaucoup et sera dans une situation difficile. C'est ce qui ressort des paroles du Christ « Quand le Fils de l'Homme viendra, (c'est-à-dire au jour du jugement), trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (Lc., 18, 8 comme qui dirait : « II n'en trouvera guère ». Certains passages de l'Apocalypse et de l'Évangile font clairement ressortir qu'à ce moment, la foi sera tellement effacée que, pour l'amour de ses élus, de peur qu'ils ne périssent également, il hâtera son retour. Mais il me semble que je n'aperçois pas certains de ces signes qui, d'après l'Écriture, viendront un long moment avant, entre autres, le retour des Juifs en Palestine et l'expansion générale du christianisme. Ainsi, à mon avis, je ne doute pas que la chrétienté ne connaisse un renouveau, qu'elle ne s'étende et ne refleurisse. Les bons, les vrais chrétiens qui viendront quand nous serons morts auront à la fois le réconfort et le plaisir d'être récompensés de leur fidélité et celui de voit le châtiment des lâches, car Dieu fera de ces infidèles, qui sont ses ennemis déclarés, l'instrument du châtiment de ces mauvais chrétiens, qui sont ses faux amis.
Je vois par bien des signes que cette épreuve va nous arriver mais aucun de ces indices ne me paraît plus odieux que celui que vous venez de mentionner. Sans aucun doute, cette façon qu'ont les gens de parler en faveur du Grand Turc montre qu'ils s'attendent à le voir envahir le pays, mais aussi qu'ils acceptent de vivre sous son règne et, en plus, de renoncer à Jésus pour tomber dans l'abominable secte de Mahomet. (...)
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Dim 10 Sep 2017 - 17:07 | |
| LIVRE III DU DIALOGUE DU RÉCONFORT DANS LES TRIBULATIONS VINCENT : C'est vrai, mon oncle. Je circule plus que vous, j'en entends orcément plus que vous et, c'est pénible, je veux croire que dans d'autres parties du royaume on ne parle pas comme cela, mais, dans notre contrée, beaucoup de gens s'attendent à la guerre. Ils ont commencé par parler en plaisantant du jour où, moyennant une conversion à la foi des Turcs, ils se rendraient maîtres des personnes et des biens des vrais chrétiens. Peu après, ils ne plaisantaient plus qu'à moitié, et maintenant, par Notre-Dame, ils ne sont pas loin de parler tout à fait sérieusement.
ANTOINE : Je sors peu, mon neveu, j'entends pourtant à peu près les mêmes nouvelles. Mais puisqu'il n'y a personne à qui nous pouvons nous plaindre pour opérer un redressement, quel autre remède y a-t-il que la patience ? Lequel de ces deux grands qui sont en lutte va régner sur nous ? Chacun d'eux s'intitule : roi et tous deux mettent les gens à la peine. L'un des deux est, comme vous le savez, trop loin pour nous aider, et l'autre puisqu'il espère l'aide des Turcs, ne voudra pas ou n'osera pas lutter contre ceux qui se mettront avec les Turcs. Car il ne manque pas ici d'authentiques Turcs ; ils vivent parmi nous sous divers prétextes, et informent le Grand Turc de tout ce qui se passe dans ce pays.
Mon cher neveu, je conseille à chacun de prier et d'en appeler à Dieu pour qu'il étende sa main sur nous et nous préserve de cette calamité, mais j'avertis également tout bon chrétien qu'il doit s'attendre à ce malheur, que chacun, homme et femme, fasse ses comptes minutieusement et sache ce qu'avec l'aide de Dieu il devra faire si le pire arrivait.
I. IL FAUT S'AFFERMIR PAR DE BONNES RÉSOLUTIONS
VINCENT : Soyez béni, mon oncle, pour ce bon conseil. J'ai toutefois entendu un homme sage et cultivé, soutenir que ce serait folie, de prétendre prévoir notre comportement en de telles circonstances, que ce serait doubler le risque de succomber à la lâcheté. Celui qui prend de telles résolutions pourrait répondre lui-même qu'il est prêt à subir une mort cruelle plutôt tôt que d'abandonner sa foi, et ensuite choir dans le péché de saint Pierre, qui avait fait une promesse téméraire et est ensuite tombé si bas. Il se pourrait aussi que, sous-estimant son propre courage, on se dise incapable de souffrir et prêt à renier Dieu, ce qui serait pécher gravement et peut-être inutilement, car le danger ne se présentera peut-être pas. Il serait donc plus sage, comme le soutient cet homme, de ne jamais s'attarder à ces sortes de pensées. (...)
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Lun 11 Sep 2017 - 16:36 | |
| LIVRE III DU DIALOGUE DU RÉCONFORT DANS LES TRIBULATIONS ANTOINE : Je veux bien croire, mon cher neveu, que vous ayez entendu parler de la sorte. J'ai lu à peu près la même opinion, écrite de la main d'un savant docteur qui était par surcroît un homme très bon ; mais pourtant, même si je trouvais d'autres écrits semblables signés par des hommes tout aussi savants et bons, je ne craindrais pas de conseiller le contraire à mes amis.
Si saint Pierre a répondu au Christ qu'il préférait mourir plutôt que de l'abandonner, et s'est ainsi surestimé, je ne vois pourtant pas en quoi cela peut déplaire grandement à Dieu. Saint Pierre s'est vanté, mais là n'est pas son péché : son péché, c'est de n'avoir pas agi comme il avait dit qu'il le ferait. Celui qui actuellement formerait ce projet pourrait très bien ne pas courir le risque d'y manquer, puisqu'il n'y a même pas un chrétien sur dix mille qui sera placé devant le problème. Conserver toute la vie cette bonne résolution, ne me paraît pas plus néfaste que la promesse que se ferait un gueux de distribuer, si jamais il devenait riche, une grande partie de sa fortune aux uvres charitables. Le danger est plutôt que le chrétien se dise prêt à abandonner le Christ, au moins en surface, tout en se promettant de lui rester fidèle au fond, plutôt que de subir une mort cruelle. Cette pensée même est un péché mortel, et il ne l'aurait pas commis s'il ne s'était pas posé la question. Mais celui qui se fait à soi-même une telle réponse n'a qu'une foi faible et froide et cette question qu'il se pose à lui-même ou qu'un autre lui pose, lui permettra de se mieux connaître, lui fera toucher du doigt la nécessité de prier pour obtenir la grâce de se fortifier dans la foi.
D'ailleurs, conseiller à quelqu'un de ne jamais penser à cela me paraît aussi stupide que ce remède-ci contre les maux de dents : « Vous faites trois fois le tour d'un cimetière sans penser à un goupillon ». Donner à quelqu'un ce conseil, c'est lui mettre en tête l'image du goupillon et, dès lors, il lui devient à peu près impossible de s'en débarrasser.
Bien peu nombreux sont ceux à qui on ne posera pas la question de savoir s'ils sont prêts à mourir pour le Christ, et ceux à qui on la posera, seront bien obligés d'y réfléchir.
Enfin, le Christ a parlé souvent et clairement de ce devoir des chrétiens de confesser leur foi, même sous la menace de la mort : cela implique d'avoir toujours en tête l'idée que si le cas se présentait, nous serions prêts, avec l'aide de Dieu, à témoigner. (...)
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Mar 12 Sep 2017 - 18:14 | |
| LIVRE III DU DIALOGUE DU RÉCONFORT DANS LES TRIBULATIONS ANTOINE : (...) Il me semble donc nécessaire que tous les chrétiens y pensent continuellement. S'il leur arrive de défaillir devant les tableaux que leur offre leur imagination, qu'ils se souviennent alors des souffrances que le Christ a subies pour eux et prient de tout leur cur que Dieu leur donne, si besoin est, la force de résister. Ainsi, par l'exercice de la méditation, ils persévéreront et se fortifieront dans l'idée de la résistance tout en se disant qu'il ne faut jamais être trop sûr de ne pas tomber.
Il me semble que tous les prêtres devraient parler de cette fermeté nécessaire à leurs paroissiens, tous les parents à leurs enfants, depuis le plus jeune âge, et les amener progressivement à méditer sur ce sujet. Alors Dieu, dans sa bonté, enverra le Saint-Esprit et les fortifiera, si bien que tous les démons de l'enfer ne pourront le chasser de leur coeur.
VINCENT Par ma foi, mon oncle, voici qui est bien dit !
ANTOINE : Je le dis comme je le pense. Bien des gens habitent des contrées où ils ne risquent pas d'être mis à l'épreuve, mais il y en a qui se croyaient en sécurité et qui soudain sont mis devant le problème, soit pour la Foi soit pour la Justice (qui vont presque de pair). Mais pour vous, pour moi, pour nos amis, la question n'est pas là : il est manifeste que nous subirons bientôt cette épreuve et que nous aurions dû nous y préparer depuis longtemps.
VINCENT : Vous dites vrai, mon oncle, et je regrette que cela ne me soit pas venu plus tôt à l'esprit, mais mieux vaut tard que jamais et j'ai confiance que Dieu nous donnera du répit. Mais je vous en prie, mon cher oncle, continuez à me prodiguer vos bons conseils.
ANTOINE : Bien volontiers, mon cher neveu ; il ne nous reste plus qu'à traiter de la quatrième tentation.
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Mer 13 Sep 2017 - 17:20 | |
| II. DE LA QUATRIÈME TENTATION QUI EST LA TENTATION POUR LA FOI
La quatrième tentation dont parle le prophète dans le psaume déjà cité c'est la persécution claire et nette, c'est de cela qu'il traite par ces mots ab incursu et demonio meridiano.
De toutes les tentations, celle-ci est la plus dangereuse, la plus aiguë, la plus rigoureuse. Dans les autres tentations, le démon use de pièges attrayants, pour faire tomber le chrétien dans le péché, il se glisse dans l'obscurité, ou encore, il se déplace avec la rapidité d'une flèche, si bien que sa victime est trompée et ne s'aperçoit même pas de sa présence.
Mais dans cette tentation-ci, c'est-à-dire dans la persécution pour la foi, le Malin arrive au beau milieu du jour, c'est-à-dire, même sur ceux qui ont une foi très vive. Il lui est indifférent d'être distingué très nettement par ses haineuses persécutions contre les chrétiens, par sa haine de la vraie foi catholique et qu'aucun croyant ne puisse ignorer qui il est. Dans cette tentation, il se montre tel que le prophète l'appelle « le démon de midi », tant il est facile à un fidèle de l'apercevoir. C'est pour cela que le prophète parle du « bouclier » qui protégera le fidèle des attaques du démon de midi : cette sorte de tentation n'est pas une tentation par la ruse, c'est un assaut furieux. Dans la persécution que les Turcs ont déchaînée, le démon ne se fait pas renard, mais plutôt lion rugissant.
Dans les tentations de la prospérité, il n'emploie que des ruses séduisantes, dans celles de l'adversité, il n'emploie que la douleur et la peine pour amener sa victime à l'impatience et au blasphème, mais dans la persécution pour la foi, il emploie les deux méthodes c'est-à-dire qu'il présente des images de paix et de tranquillité et aussi des plaisirs qu'offre cette vie, et en même temps il terrifie par l'idée de douleurs intolérables.
Dans d'autres épreuves comme la maladie, la mort, la perte d'un être cher, le danger n'est jamais aussi grand. Dans les autres épreuves, le fait qu'on ne peut échapper à la peine incite à la patience, à remercier Dieu d'avoir envoyé cette épreuve, à se faire un mérite de la bien supporter et à espérer une récompense. Mais en ce qui concerne la persécution subie pour la foi je ne parle pas du combat sur le champ de bataille où fidèles et infidèles se dressent l'un contre l'autre de la même façon, mais bien du moment où le fidèle est pris et peut, s'il renie sa foi, être libéré et même garder la possession de ses biens dans ce cas, dis-je, puisqu'il ne souffrira que s'il le veut, il est en grand danger de tomber dans le péché que le démon voudrait lui faire commettre : c'est-à-dire renoncer à sa foi. C'est pourquoi, je le répète, de toutes les tentations du démon, la persécution pour la foi est la plus dangereuse
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Jeu 14 Sep 2017 - 18:40 | |
| II. DE LA QUATRIÈME TENTATION QUI EST LA TENTATION POUR LA FOI
VINCENT : Plus la tentation est dangereuse, mon cher oncle, plus ceux qui sont en danger doivent être armés, préparés par de bons conseils. C'est ainsi que nous supporterons le mieux cette épreuve quand elle viendra, et que nous écarterons le mieux la tentation.
ANTOINE : Vous dites vrai, mon neveu, et je suis heureux de voir que nous sommes d'accord sur ce point.
Mais il me semble que vous avez plus peur que moi de cette épreuve et, en quelque manière, vous êtes excusable. Je suis plus âgé que vous et j'ai déjà enduré tant de souffrances ; ce sont ces souffrances qui vous donnent à penser que vous pourriez en subir autant. Je vous donnerai contre chaque souffrance un conseil, et je vous fournirai des arguments de réconfort autant que mon pauvre esprit pourra s'en remémorer.
VINCENT : En toute bonne foi, mon oncle, je ne suis pas seulement effrayé pour moi-même, mais j'ai de bonnes raisons de craindre pour d'autres, hommes et femmes de tout âge.
ANTOINE : J'ai peur pour les mêmes personnes que vous, puisque vos parents sont également les miens. Mais, dans tout ceci, il faut craindre à la fois pour soi-même et pour les autres. Il est dit dans l'Écriture que chacun doit avoir soin des siens (1 Tm., 5, 8 Or, dans un danger comme celui-ci, il faudrait n'avoir aucune étincelle d'amour chrétien pour ne pas s'inquiéter non seulement des siens, mais aussi de ses ennemis. Aussi, mon cher neveu, n'allons-nous pas penser aux malheurs particuliers qui pourraient nous arriver à vous ou à moi, mais bien aux malheurs en général qui pourraient atteindre n'importe qui.
III. DE LA QUATRIÈME TENTATION (SUITE)
Un homme est composé d'un corps et d'une âme. Toute douleur qu'il subit doit nécessairement porter sur l'un ou sur l'autre de ces éléments, soit directement, soit en atteignant ce qui sert au plaisir ou au bien-être de l'un des deux.
Voyons d'abord ce qui concerne l'âme. Aucun mal ne peut l'atteindre dans cette sorte d'épreuve à moins que, dans son attachement immodéré à la chair, elle ne renonce à la foi et ainsi se fasse tort.
Reste le corps, et ces choses extérieures qui servent à le maintenir et à lui procurer du plaisir ainsi qu'à l'âme pendant qu'elle lui est unie.
Pensez que la perte de ces choses est moins importante que celle du corps lui-même. Dites-moi, que peut-il perdre, en quoi peut-il souffrir ? Source : livres-mystiques.com
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Ven 15 Sep 2017 - 15:57 | |
| III. DE LA QUATRIÈME TENTATION (SUITE)
VINCENT : Il peut perdre de l'argent, un bien meuble, une situation ou encore les terres qu'il a héritées et en priver ainsi lui-même et ses héritiers. Vous savez que comparativement à tel ou tel autre, je ne suis pas fort bien nanti, mais je le suis assez cependant pour que même un gros richard n'accepte pas de gaieté de cur la perspective de se voir dépouillé de biens aussi nombreux que ceux dont je suis pourvu.
C'est la pauvreté et la misère qui suivent la perte de ces biens, le dénuement, la mendicité. Ajoutez à cela la douleur de voir les bons, les fidèles, prisonniers d'une telle misère quand les infidèles, ces mortels ennemis, jouissent des commodités qu'on a perdues.
Pour le corps, je vois l'emprisonnement, une mort pénible et honteuse.
ANTOINE : Il n'en faut pas plus, mon cher neveu, étant donné ce qu'est le monde actuellement. Je crains bien que le quart suffirait à ébranler la foi de bien des chrétiens qui, faute d'avoir été mis à l'épreuve, se croient forts. Je supplie le Seigneur de les laisser dans cette pensée, et de ne pas les mettre à l'épreuve, comme saint Pierre.
Mais, mon cher neveu, comment nous y prendre pour préparer les gens à de telles horreurs ? Si la foi était encore ce qu'elle fut dans l'ancien temps, il suffirait de quelques conseils, de quelques paroles de réconfort. Nous ne serions pas tentés d'atténuer la peine par nos paroles, par nos raisonnements. Dans l'ancien temps, plus atroce était la douleur, plus fervente était la foi. Certes si un chrétien d'aujourd'hui éprouvait un désir aussi ardent que l'avaient ces martyrs de se trouver en présence de Dieu, il n'attacherait pas plus d'importance à la douleur corporelle, condition de cette faveur, que ne le faisaient les martyrs aux temps héroïques. Mais hélas ! si faible est devenue notre foi, si tiède notre amour de Dieu, si vif notre attachement à la chair que nous sommes peu désireux d'aller au ciel et nous avons peur de toute peine corporelle ; notre dévotion en est frappée à mort. C'est pour cela, mon cher neveu, que nous devons tous méditer ces pensées avant que le danger survienne, avant qu'il se précise. Alors la raison réfléchit plus sereinement, et la grâce engendre non pas un désir léger et passager de souffrir, pour l'amour de Dieu, mais une constance ferme et stable, comparable non à un roseau toujours prêt à plier, à un buisson sans racines, qui sera renversé par le premier souffle du vent, mais à un chêne robuste et solidement enraciné. (...)
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Sam 16 Sep 2017 - 20:32 | |
| IV. LES ARMES DU DÉMON DE MIDI
Examinons, mon cher neveu, ces terreurs dont vous m'avez parlé, et qui sont les armes du démon de midi dans les persécutions des Turcs. Vous verrez qu'elles ne sont en réalité pas aussi épouvantables qu'elles le paraissent à première vue.
V. LA PERTE DES BIENS MATÉRIELS
Commençons par ce qu'on appelle la fortune, les biens, les honneurs qui ne font partie intégrante ni de l'âme ni du corps.
Que peut-il y avoir en eux de si précieux pour qu'ils portent le nom de « biens de ce monde » ? Un homme qui possède la force est fort, un homme qui a la vertu est vertueux, mais un homme qui possède beaucoup de « biens » n'est pas pour cela un homme de bien. Le plus souvent même, c'est le contraire. Pourquoi se réjouir de posséder ce qui se trouve à profusion dans les mains des plus mauvais ? Le Grand Turc et ses pachas ne surpassent-ils pas sur ce chapitre les seigneurs chrétiens ? Il y a une vingtaine d'années, le sultan de Syrie, qui menait aussi grand train que le Grand Turc, perdit tout son empire en un seul été : il fut envahi par les Turcs. Puisse son empire à lui être envahi par les chrétiens quand ceux-ci retrouveront la faveur de Dieu.
Puisque des royaumes entiers, de puissants empires sont si peu stables, qu'est-ce qu'un homme comme vous et moi, comme le plus puissant seigneur de ce pays, peut espérer de la possession d'un tas d'argent ou d'or ? Ce ne sont là que métaux blanc ou jaune, qui ne donnent rien par eux-mêmes si ce n'est de jolis reflets comme le fait aussi le fer.
VI. DU PEU DE SÉCURITÉ QU'OFFRE LA POSSESSION DES TERRES ET DES BÂTIMENTS
On a souvent plus de considération pour les terres que pour l'argent ou la vaisselle plate. La terre paraît plus sûre. L'argent peut être volé tandis que la terre restera toujours où elle est. Mais est-ce vraiment un avantage, puisque nous-mêmes pouvons être forcés de la quitter ? Quelle grande différence cela fait-il que nous possédions des biens meubles ou immeubles, puisque nous-mêmes sommes si mobiles et que nous pouvons perdre les deux ? Parfois, cependant, l'argent est un placement plus sûr. Car lorsque nous voulons fuir, nous pouvons emporter de l'argent mais pas un pouce de terre.
Si la terre est plus sûre que l'argent, comment se fait-il que, dans cette persécution, nous ayons si peur de la perdre ? Dans la chute de ces deux grands empires, la Grèce, avant votre naissance, et la Syrie après, c'est la terre qu'on perdit en premier. (...)
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Dim 17 Sep 2017 - 17:33 | |
| VI. DU PEU DE SÉCURITÉ QU'OFFRE LA POSSESSION DES TERRES ET DES BÂTIMENTS
(...) Oh ! cher neveu, si le monde que nous habitons était mû par un esprit raisonnable, comme le pensait Platon, s'il avait la faculté de tout comprendre, le sol où le prince bâtit son palais rirait de mépris en le voyant si fier de sa propriété, en l'entendant se vanter que lui et ses descendants seront pour toujours ses possesseurs. Cette terre penserait en elle-même : « Pauvre sot ! Tu te crois un demi-dieu, tu n'es, dans toute ta gloire, qu'un homme richement vêtu ; et moi qui ne suis qu'une terre, j'ai eu des centaines de possesseurs, plus que tu ne t'imagines. Certains d'entre eux, qui me foulaient fièrement aux pieds, sont maintenant dans mes entrailles. Et, dans l'avenir, beaucoup d'autres encore s'intituleront mes propriétaires, et ce ne seront pas tes descendants et ils ne porteront pas ton nom. »
Cher neveu, qui était le propriétaire de votre domaine, il y a trois mille ans ?
VINCENT : Trois mille ans, mon oncle ! Il faudrait diviser par trois et même le reste par deux. Dans bien moins de trois mille ans, les descendants d'un laboureur pourraient s'élever jusqu'à la royauté, et ceux du roi être abaissés jusqu'à la charrue. Et le roi ne saura pas que son ancêtre était laboureur, ni le laboureur qu'il descend d'un roi.
ANTOINE : On trouve dans des histoires anciennes des changements aussi étranges survenus en très peu d'années. Faut-il, dès lors, accorder une telle importance à ces choses qui offrent si peu de sécurité ?
VINCENT : Mais, mon oncle, moins nous sommes sûrs de les garder, plus nous sommes désolés de nous en séparer, car elles offrent bien des commodités.
ANTOINE : Cet argument, mon neveu, je le tournerai contre vous. Car s'il en est comme vous dites, si, moins on est sûr de conserver une chose, plus on craint de la perdre, on peut dire aussi que, plus une chose donne de sujet de crainte, moins on a de raison de s'y attacher, et par conséquent, moins on devrait craindre de la perdre.
VII. DEUX FAÇONS DE CONSIDÉRER LES RICHESSES
Dans ces biens, savoir : les richesses, la bonne réputation, l'autorité, nous distinguerons entre ce qu'ils nous apportent dans cette vie, et l'usage que nous en faisons ici-bas pour mériter une récompense dans l'autre vie.
Voyons d'abord ce qu'ils nous apportent dans cette vie.
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Lun 18 Sep 2017 - 20:12 | |
| VIII. LA FORTUNE NE NOUS APPORTE QUE PEU DE COMMODITÉS, ET DANS CETTE VIE SEULEMENT
Si nous y réfléchissons, nous verrons que le bien-être que nous apporte la fortune n'est pas aussi grand que notre folle imagination nous le fait croire. Sans doute un costume de soie nous rend plus agréables à voir, plus élégants, mais la laine est plus chaude ! Une vie de luxe nous permet de manger des mets délicats, des nourritures plus abondantes, mais un régime plus sobre nous causerait moins d'indigestions et serait plus sain. Le mal que nous nous donnons pour acquérir des richesses, la crainte de ne pas les conserver, la douleur que nous éprouvons à nous en séparer, font plus que contrebalancer le plaisir qu'elles apportent.
L'argent enlève souvent à son possesseur la joie de vivre et parfois même la vie. Plus d'un homme a été tué pour ses richesses. Il y en a qui n'en tirent pas d'autre plaisir que de les garder, tout comme s'ils étaient les gardiens du trésor d'un autre ! Ils se contentent de vivre misérablement, dans le besoin ; de crainte de diminuer le magot, ils ne font rien d'autre que de le veiller. Et il y en a même qui, par crainte des voleurs, mettent leur argent dans un pot et l'enterrent jusqu'à leur mort et même après et sont ainsi leur propre voleur. Supposez que le pot ait été volé plusieurs années avant la mort de son propriétaire, sans qu'il s'en fût aperçu, en aurait-il été plus pauvre ?
VINCENT : Ma foi, non, pas d'un sou !
IX. DU PEU D'AGRÉMENT QU'APPORTENT LA BONNE RÉPUTATION, L'ESTIME ET L'HONORABILITÉ
ANTOINE : Examinons maintenant la bonne réputation, l'estime, et l'honorabilité. Ces trois choses n'en font qu'une et ne se distinguent entre elles que par des nuances et des degrés. On peut avoir bonne réputation sans être riche ; l'honorabilité, dans l'esprit des gens, ne s'applique qu'à celui qui a des biens, et jouit de l'estime générale. Dans le mot honorabilité, les gens voient l'idée de haute condition, réputation qui s'étend au loin, appuyée sur des actions louables.
Tout cet appareil, employé comme une chose plaisante et commode pour cette vie peut avoir de l'attrait pour celui qui s'y attache. Mais de par sa nature je ne vois pas ce que la chose apporte, je dis bien : de par sa nature, car il se peut qu'elle soit la cause de quelque avantage. Il se peut qu'en raison de l'estime dont ils jouissent, le pauvre et le riche s'appliquent à répandre le bien autour d'eux, de la même façon qu'un homme qui se sent haï s'applique à nuire.(...)
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Mar 19 Sep 2017 - 19:46 | |
| IX. DU PEU D'AGRÉMENT QU'APPORTENT LA BONNE RÉPUTATION, L'ESTIME ET L'HONORABILITÉ
Mais, qu'est-ce que l'honorabilité sinon un souffle aussitôt évanoui que proféré ? Celui qui s'y complaît se nourrit de vent. Il sera souvent déçu. Il s'imagine que beaucoup de gens le louent qui en vérité ne parlent jamais de lui, et ceux qui parlent de lui ne le font pas aussi souvent qu'il le pense. Ils ne passent pas toute leur journée à ne faire que cela. Ceux qui le louent le plus sont bien obligés de temps à autre de l'oublier ! De plus, si on en dit du bien ici, on en médit par là. Enfin ce sont ceux qui le flattent le plus quand il est là qui s'en gausseront le plus derrière son dos et parfois même, sournoisement, jusqu'en sa présence. Pourtant, il y a des gens si intoxiqués par cette idée de renommée qu'ils se réjouissent et se glorifient à la pensée que le monde ne fait rien d'autre nuit et jour que les encenser en chantant leur louange comme les anges célèbrent le Très-Haut.
X. DE LA FLATTERIE
Il y en a qui sont poussés à cette folie de la vanité par des gens qu'ils entretiennent pour leurs flatteries.
Ils seraient vexés si l'un d'eux, sans aller jusqu'à dire la vérité, montrait de la tiédeur dans ses louanges.
VINCENT : Vous dites vrai, mon oncle. Il m'est arrivé, il n'y a pas longtemps, une aventure que je veux vous conter. Elle montre à quel point vous avez raison.
ANTOINE : Dites, mon neveu, je vous en prie.
VINCENT : Quand j'étais en Allemagne, je fus l'hôte d'un grand prélat qui était par surcroît l'un des hommes les plus riches du pays. Vraiment, celui qui peut dépenser autant que lui est considéré comme très riche dans toute la chrétienté. Mais il était glorieux au delà de toute mesure, et c'était pitié, car cela lui faisait gâter bien des dons qu'il avait reçus de Dieu. Jamais il ne se lassait d'entendre ses propres louanges.
Il arriva qu'un jour, il fit un sermon devant un grand auditoire. Il était si content de la manière dont il l'avait dit qu'il fut sur des charbons ardents jusqu'à ce qu'il pût enfin demander à ses commensaux, ce qu'ils en pensaient. Il réfléchit un moment, pour trouver une manière élégante d'introduire la question. Finalement, n'en trouvant pas de meilleure, il nous demanda carrément notre avis. Nous étions assis aux deux bouts de la table, le milieu lui étant exclusivement réservé.
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Mer 20 Sep 2017 - 17:35 | |
| X. DE LA FLATTERIE
(...) À partir de ce moment chacun s'absorba si profondément dans la recherche d'un compliment bien tourné qu'il en oublia de manger. Il eût été honteux de ne faire qu'une plate louange. Nous commençâmes par le plus éloigné, nous procédions par ordre comme s'il se fût agi d'une délibération solennelle ayant pour objet le bien public. Quand ce fut mon tour, je ne dis pas cela pour me vanter, mon oncle, il me sembla m'en acquitter fort bien ! J'étais fier de moi et de l'aisance que je mis à m'exprimer dans la langue allemande qui m'est peu familière, car je mis ma coquetterie à refuser la facilité, qui eût été de m'exprimer en latin. J'espérais être apprécié plus encore par le fait que celui qui devait parler après moi était un prêtre ignorant ne sachant pas un mot de latin. Mais ce rusé renard était si rompu aux exercices de cour qu'il me surpassa et de beaucoup. Je vis à quel degré de perfection dans la flatterie un esprit retors pouvait arriver, en se tendant uniquement vers ce but. Mais je me promis bien que si nous nous trouvions réunis à cette table, lui et moi, et que nous devions de nouveau rivaliser dans la flatterie, j'userais du latin pour qu'il ne puisse plus se mesurer avec moi. Je veux bien me laisser distancer par un cheval, non par un âne.
Mais, mon oncle, écoutez ce qui arriva. Celui qui avait la place d'honneur et qui devait parler le dernier était le détenteur d'un grand bénéfice, et il était versé dans les lois de l'Église. Il fallait voir avec quelle application il suivait les paroles de chacun. Il me semble que mieux on parlait, plus il était ennuyé, car il pensait à la difficulté qu'il aurait à parler mieux encore. Il faisait de tels efforts qu'il en était en sueur et devait de temps à autre s'éponger le visage. Mais celui qui parla avant lui ne laissa pas un mot sensé à sa disposition.
ANTOINE : Pauvre homme ! L'un d'entre vous aurait dû lui venir en aide !
VINCENT : Il n'en eut pas besoin, mon oncle, car il trouva le moyen de nous surpasser tous.
ANTOINE : Que dit-il ?
VINCENT : Par Notre-Dame, il ne prononça pas un mot. Pline raconte que lorsque le peintre Apelle peignit le sacrifice d'Iphigénie, il voulut rendre la tristesse sur tous les visages des chefs grecs. Il laissa, pour le peindre en dernier, Agamemnon, père d'Iphigénie, parce qu'il voulait qu'il fût plus douloureux que tous les autres. Quand il en arriva à peindre ce visage paternel, il avait dépensé tant de talent pour les autres qu'il ne savait plus comment s'y prendre. (...)
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Jeu 21 Sep 2017 - 19:50 | |
| X. DE LA FLATTERIE
VINCENT : (...) Alors il eut recours à un artifice, il le peignit, la face enfouie dans un voile. Eh bien ! notre flatteur fit en quelque sorte la même chose. Quand il vit qu'il ne pouvait plus surpasser les autres, il se tut ; mais son silence exprimait le ravissement céleste où l'avait plongé l'éloquence du prélat ; avec un « Oh ! » du fond du cur, il étendit les deux mains, leva les yeux au ciel et versa des larmes.
ANTOINE : En vérité, il joua son rôle admirablement. Mais cette oraison du prélat valait-elle tant de louanges ? Vous l'avez entendue, je le vois bien. Vous ne voudriez pas, je suppose, faire comme le sénateur aveugle que Juvénal décrit avec humour. Il s'agit d'un des flatteurs de l'empereur Tibère. Avec ses collègues, il admirait un gros poisson que l'empereur leur avait envoyé pour le leur montrer. Ce sénateur aveugle, Montanus, faisait chorus avec les plus admiratifs. Il dit bien des choses en vue de dépeindre les beautés de ce poisson, mais il le croyait à sa gauche alors qu'il était à droite. Mais vous, vous n'auriez pas accepté de louer le discours si vous ne l'aviez pas entendu ?
VINCENT : Je l'ai entendu, mon oncle, et il n'était pas sans mérite. Pourtant, il ne valait pas tant de louanges, pas la moitié. Mais je puis vous assurer qu'eût-il été le plus médiocre que jamais on prononça, les louanges eussent été tout aussi excessives, car ceux qui les ont formulées ne se souciaient pas de savoir si la chose le méritait, mais de quelle flatterie ils pouvaient bien encenser Sa Grâce.
ANTOINE : De tels flatteurs rendent les gens fous, comme le dit Térence. Leurs supérieurs ont bien des raisons de leur en vouloir.
VINCENT : Dieu leur en veut, mais non leurs supérieurs, puisque c'est pour entendre leurs flatteries qu'ils entretiennent ces flatteurs. Car ceux qui sont vaniteux, qu'ils soient nobles ou non, préfèrent les louanges aux conseils. Ils ont beau demander qu'on leur dise la vérité, on leur plaira plus en leur servant de jolies fadaises qu'en disant la vérité.
Ils sont comme cet ami de Martial qui lui avait écrit pour lui demander son avis sur des vers qu'il avait faits, le priant de dire l'exacte vérité. Dans une épigramme, Martial répondit : « Tu me demandes la vérité ? Je vais te dire la vérité : Tu n'aimeras pas la vérité. »
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Ven 22 Sep 2017 - 16:07 | |
| X. DE LA FLATTERIE
VINCENT : (...) Le prélat dont je vous ai parlé avait écrit un traité qui devait servir à une alliance entre ce pays et celui d'un grand prince. Il pensait avoir composé son traité si sagement que le monde entier l'approuverait. Là-dessus, assoiffé de louanges, il demanda l'avis d'un de ses amis, expert en ces matières car il avait été à diverses reprises ambassadeur dans ce pays et avait lui-même composé des traités. Le prélat lui remit donc le texte du traité et lui demanda ce qu'il en pensait : « Mais, je vous en prie, dites-moi la vérité. » L'ami se fiant à ce désir parla d'une erreur qu'il voyait dans ce traité. Le prélat s'écria : « Par la messe, vous n'êtes qu'un idiot ! » L'autre me confia par la suite qu'il ne serait plus jamais sincère avec ce prélat.
ANTOINE : Cela se comprend, mon cher neveu, c'est ainsi que des gens en arrivent à ce que tout le monde se moque d'eux. S'ils veulent la vérité, qu'ils accordent leur estime à ceux qui disent la vérité, et n'écoutent pas les flatteurs ! Le roi Ladislas, Dieu ait son âme, agissait ainsi avec ses serviteurs. Quand l'un d'entre eux louait un de ses actes, une de ses qualités, il ne disait rien s'il voyait qu'il était sincère. Mais s'il s'apercevait qu'il y mêlait quelque esprit de flatterie, le roi répondait sèchement : « Je vous en prie, mon ami, quand vous récitez à ma table la prière qui commence par Gloria Patri, louange à Notre Père, n'omettez pas, je vous prie, d'ajouter tout aussitôt la deuxième partie de cette oraison : « ainsi qu'il en a été de tout temps et qu'il en sera toujours (1). » Ne me portez pas aux nues avec des mensonges, car je n'aime pas cela. »
Si on en usait ainsi avec les flatteurs, il y en aurait moins.
J'estime juste qu'on approuve chez les autres ce qu'on trouve digne de louanges, mais à condition de rester dans les limites de la vérité, cela encourage. Les hommes sont semblables à des enfants, la louange les fait avancer.
Certes, mieux vaudrait agir bien sans en espérer nul éloge. Mais celui qui ne peut trouver en son cur de parole pour louer la bonne action d'un autre est un envieux, ou alors il est apathique et maussade. Au surplus, celui qui se complaît dans la louange des autres n'est qu'un sot. Le souffle de toute une foule disant sa louange ne servirait même pas à atténuer la douleur d'une légère brûlure qu'il aurait au doigt.
(1) C'est-à-dire : lorsque vous direz devant moi : Notre père, le roi Ladislas est grand, il doit être bien entendu que vous pensez : ses prédécesseurs l'étaient aussi.
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Sam 23 Sep 2017 - 20:35 | |
| XI. DU PEU D'AGRÉMENTS QUE TROUVENT DANS LES HAUTES CHARGES CEUX QUI N'Y CHERCHENT QU'AVANTAGES SUPERFICIELS
Voyons maintenant quels avantages les mondains trouvent dans ces hautes charges, dans ces positions élevées. Je ne traite ici que de ceux qui n'y cherchent qu'avantages superficiels ; des autres qui y poursuivent une fin meilleure, nous parlerons plus loin.
Ce qu'ils aiment tous, c'est de pouvoir commander sans avoir à obéir eux-mêmes. Je ne compris cela qu'un jour où un de nos amis me conta gaiement une querelle qu'il avait eue avec sa femme. L'épouse reprochait à son mari de manquer d'ambition, et, comme il venait de refuser une position honorable, elle se mit en colère :
Pourquoi ne faites-vous pas comme les autres ? Voulez-vous donc passer votre vie au coin du feu à dessiner dans les cendres comme les enfants ? Ah ! si j'étais un homme, moi... !
Eh ! bien que feriez-vous, ma mie ?
Je chercherais à m'élever, car ma mère disait toujours : « Mieux vaut commander qu'obéir ». Et je vous assure que je ne suis pas assez sotte pour obéir quand je pourrais commander.
Ça c'est vrai, femme, je ne vous ai jamais trouvée portée à l'obéissance.
VINCENT : Je vous suis très bien, mon oncle. C'est une maîtresse femme que celle-là et ce dont elle parle est bien ce que les mortels recherchent le plus dans les positions qui donnent de l'autorité.
ANTOINE : Et pourtant, il me semble que bien peu y trouveront un avantage car dans un royaume une seule personne peut donner des ordres sans en recevoir et c'est le roi. Lui seul peut tout gouverner, tout contrôler sans être ni contrôlé, ni gouverné. Tous les autres sont sous ses ordres, la plupart doivent obéir à plus d'un supérieur, et maint parmi ceux qui occupent une position élevée exige moins de travail de ceux qu'il a sous ses ordres que son chef n'en exige de lui seul.
VINCENT : Pourtant, cela leur plaît, mon oncle, qu'on s'incline, qu'on reste nu-tête et même qu'on s'agenouille devant eux. (...)
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Dim 24 Sep 2017 - 19:07 | |
| XI. DU PEU D'AGRÉMENTS QUE TROUVENT DANS LES HAUTES CHARGES CEUX QUI N'Y CHERCHENT QU'AVANTAGES SUPERFICIELS
ANTOINE : Cher neveu, ce n'est souvent qu'un prêté-rendu : on leur fait des courbettes, eux doivent en faire à d'autres. Si, comme je l'ai dit, nous exceptons le roi, nous voyons que même celui qui se trouve à l'échelon directement inférieur, fait plus de courbettes qu'il n'en reçoit ; et si, par hasard son genou lui fait mal, les génuflexions de vingt personnes ne calmeront pas sa douleur. Un grand officier du roi m'a dit un jour que vingt personnes se découvrant devant lui, ne lui tenaient pas aussi chaud que ne le fait son chapeau, et le plaisir qu'il éprouvait à les voir nu-tête devant lui n'était rien en comparaison du dépit qu'il éprouva quand il attrapa un rhume, pour être resté longtemps nu-tête devant le roi.
Mais laissons là ces avantages et voyons les inconvénients que comportent de telles charges. Tout va-t-il éternellement comme chacun le désire ? Autant vaudrait, n'est-ce pas, demander si tout le monde est content du temps qu'il fait, puisque dans une même chaumière, le mari désire le soleil pour son blé et la femme, la pluie pour ses poireaux ! Ainsi en va-t-il de ceux qui détiennent l'autorité. Ils ne sont d'accord ni sur le profit, ni sur les règlements, ni sur le maintien des causes, ils sont tirés à hue et à dia par leurs différents amis et il est impossible qu'ils l'emportent tous. Il est toujours déplaisant de ne pas l'emporter, mais, pour eux la défaite est bien plus cuisante que pour un pauvre homme. Et ceci est vrai aussi bien pour les plus puissants. Les princes eux-mêmes ne peuvent avoir tout ce qu'ils désirent. Comment cela serait-il possible alors que chacun d'entre eux voudrait régner sur les possessions de tous les autres ? Ils sont enviés et haïs par ceux qui sont sous leurs ordres, qui leur parlent en les flattant, mais qui, si le prince vient à tomber, se transforment en une meute hurlante et dévorante.
Enfin, le coût, la charge de la guerre leur incombe à eux bien plus qu'au pauvre, ils sont beaucoup plus exposés à ses dangers. Plus d'un laboureur peut rester tranquillement assis devant son feu alors qu'eux doivent se lever et marcher.
Il suffit d'ailleurs que leur maître change d'humeur pour que s'écroule du même coup l'autorité dont ils jouissaient. Nous en voyons tous les jours maints exemples, qui viennent illustrer cette pensée du philosophe : il comparait ceux qui servent de grands princes à ces comptoirs dont on se sert pour régler les paiements. On les dresse pour un sou aussi bien que pour mille livres. Aussitôt après, on les démonte, pour les dresser de nouveau pour un sou. Ainsi en est-il de ceux qui cherchent à s'élever par la protection des grands princes, ils s'élèvent puis retombent, et c'est toujours à recommencer. (...)
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Lun 25 Sep 2017 - 16:13 | |
| XI. DU PEU D'AGRÉMENTS QUE TROUVENT DANS LES HAUTES CHARGES CEUX QUI N'Y CHERCHENT QU'AVANTAGES SUPERFICIELS
ANTOINE : (...)Même celui qui garde sa situation jusqu'à sa mort doit finalement abandonner tout. Et ce « finalement » ne se fait pas longtemps attendre, car au moment où on peut s'élever, bien des années ont déjà passé. Ceux qui y réfléchissent n'auront guère à se réjouir, ils verront que les honneurs dont ils sont revêtus, que leur autorité ne dureront guère, sans parler des chances qu'ils ont de les perdre encore plus vite. Inutile de vous dire que de telles pensées plongent dans la désolation ceux qui les conçoivent.
Vraiment, mon cher neveu, je ne vois guère d'avantages dans le fait d'avoir de l'autorité, mais beaucoup de désagréments. Il y a tant de chances de perdre cette autorité et de toutes façons on ne peut la conserver longtemps, s'en séparer cause tant de douleur que je ne vois pas pourquoi on la désirerait tant.
XII. CES BIENS QUE NOUS DÉSIRONS FONT PEU DE BIEN AU CORPS ET GRAND TORT À L'ÂME
Nous avons vu quels maigres avantages les vaniteux retirent de ces « dons de la fortune » ; si, maintenant, nous considérons le tort que font ces dons à l'âme qui les reçoit nous verrons qu'il est préférable d'en être privé.
Ce sont des choses qui par leur nature ne sont ni bonnes ni mauvaises, mais peuvent servir au bien ou au mal. Ne doutons pas cependant que ceux qui n'y voient que matière à plaisir humain, terrestre, ceux qui ne poursuivent aucun but élevé, spirituel, ceux qui ne voient pas dans leur autorité un moyen de servir Dieu, pour ceux-là, le démon transformera ces choses indifférentes en choses mauvaises, car si, par leur nature, elles sont indifférentes, l'usage qu'on en fait ne l'est pas. Celui qui recherche les honneurs seulement pour le plaisir humain et non pour en faire un instrument du bien n'a guère de chance d'atteindre un but meilleur que celui qu'il poursuit ; il usera donc de ses dons non pour le bien mais pour le mal.
Examinons, par exemple, l'effet que produisent les richesses sur celui qui les recherche comme un bien temporel et non en vue de servir Dieu. Saint Paul le dit dans sa lettre à Timothée : « Ceux qui veulent s'enrichir tombent dans la tentation, dans le piège du démon, dans une foule de désirs insensés et nuisibles qui font sombrer les hommes dans la mort et la perdition » (1 Tm., 6, 9). Et l'Écriture sainte dit dans le chapitre 24 des Proverbes : « Celui qui amasse des trésors sera précipité dans les pièges de la mort. »
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Mar 26 Sep 2017 - 19:47 | |
| XII. CES BIENS QUE NOUS DÉSIRONS FONT PEU DE BIEN AU CORPS ET GRAND TORT À L'ÂME
Ainsi le Seigneur dit par la bouche de saint Paul, que ces gens cupides tombent dans le piège du démon ; il dit ailleurs qu'ils y seront précipités avec violence, et en vérité quand un homme désire les richesses non à des fins spirituelles mais à des fins humaines, il a nécessairement peu de scrupules sur la façon de les obtenir, il y arrivera par n'importe quel moyen, même mauvais, soit qu'il amasse sou par sou, comme un avare, ce qui est vous le savez condamnable, soit qu'il se répande en folles dépenses, par orgueil ou gourmandise, ce qui est pis encore.
Quant à la gloire, et à la renommée, recherchées pour le plaisir qu'elles procurent, elles font à l'âme un tort immense ; à cause d'elles les hommes ne connaissent plus de mesure et, poussés par des flatteurs, ils se gonflent d'orgueil au point d'en oublier complètement qu'ils sont faits d'un peu de terre et qu'ils retourneront à la terre ; ils se prennent pour des dieux et s'imaginent qu'ils vont gouverner le monde entier.
C'est ce qui cause, entre les princes, ces guerres qui font tant de mal à tant de gens, c'est cela qui répand tant de sang, qui fait qu'un roi, incapable de gouverner son propre royaume, ambitionne d'en régenter cinq. Pensez à tous ceux que détient dès maintenant le Grand Turc, eh bien ! il désire en avoir plus encore, il les gouverne bien mal, mais c'est sa propre personne qu'il gouverne encore le plus mal.
Voyons maintenant quels effets produisent sur l'âme les positions qui donnent de l'autorité. Ceux qui ne les désirent que pour satisfaire leur caprice, ne peuvent pas ne pas abuser de cette autorité, car ils ne prendront pas leur tâche au sérieux et soutiendront des requêtes absurdes pour plaire à leurs amis ; ils voudront caser tous ceux qui dépendent d'eux au détriment de gens faibles qui ne leur ont fait aucun tort et qu'ils transforment ainsi en innocentes victimes.
S'ils font des lois contre les malfaiteurs, ils les feront, comme dit un vieux philosophe, comme des toiles d'araignées qui attrapent les petits moucherons mais laissent passer les gros bourdons. Ainsi ces lois qui devraient être le bouclier des innocents seront en réalité le glaive qui les transpercera, et l'âme du législateur en portera la responsabilité.
Ainsi vous le voyez, mon cher neveu, si on recherche ces biens de la fortune non dans un but spirituel mais pour un bénéfice terrestre, pas un seul n'apporte grand profit au corps et tous sont pernicieux pour l'âme.
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Mer 27 Sep 2017 - 19:51 | |
| XIII. LES PERSÉCUTIONS DES TURCS PERMETTRONT DE DÉCELER SI CEUX QUI OCCUPENT DES FONCTIONS ÉLEVÉES SONT INTÉRESSÉS OU NON
VINCENT : Ce que vous dites, mon oncle, est si évident que personne ne le pourra nier. Personne n'avouera désirer des richesses à des fins purement humaines : chacun veut paraître auréolé de sainteté et déclare désirer les richesses accessoirement pour le bien-être qu'elles procurent mais surtout pour le bien qu'elles permettent d'accomplir.
ANTOINE : C'est ainsi que chacun fait. Mais ceux qui déclarent ne convoiter qu'accessoirement les jouissances terrestres montrent bientôt que c'est leur but principal et que les affaires de Dieu ne les intéressent point. Ils prétendent le contraire mais c'est pour leur propre malheur car « on ne se moque pas de Dieu » (Ga., 6, 7). Il y en a peut-être qui s'abusent eux-mêmes ; leur imperfection est plus grande qu'ils ne l'imaginent. Seul Dieu la voit ; c'est pourquoi le prophète dit à Dieu : « Tu as les yeux sur mon imperfection » (Jb., 14, 16) et plus loin le prophète prie : « Seigneur, lave-moi de mon péché caché » (Ps., 51, 4).
Mais, mon cher neveu, si le Grand Turc dépouille de leur avoir les vrais croyants et non ceux qui acceptent de renier leur foi pour garder leurs biens, cette épreuve sera une pierre de touche, et cela ouvrira les yeux de ceux qui se croient meilleurs qu'ils ne sont en réalité. Beaucoup de gens pleins de bonnes intentions dont ils remettent toujours à plus tard l'exécution, devront, s'ils ne se mentent pas à eux-mêmes, abandonner leurs biens pour l'amour de Dieu.
Je vois dans cette persécution des Turcs, mon cher neveu, un sujet de grand réconfort. Le riche, le puissant sert nécessairement ou bien Dieu ou bien le monde. Celui qui sert le monde trouve dans ces biens, comme je vous l'ai montré, peu de profit pour son corps et fait tort à son âme. S'il est sage, il peut estimer avantageux de perdre sa fortune ou sa situation dans un malheur général et d'une façon aussi méritoire. D'un autre côté, celui qui les conservait dans un but élevé, dans l'intention de les donner pour plaire à Dieu, ne regrettera pas de les perdre dans une persécution de la foi.
Car en s'en séparant, il fait plus plaisir à Dieu qu'il ne le pourrait faire autrement. Il eut peut-être été préférable d'avoir distribué ces biens plus tôt, mais maintenant, empêché de les distribuer généreusement comme il l'avait prévu, ils ont beau lui être arrachés par la violence, il les donne tout de même volontairement à Dieu puisqu'il préfère s'en séparer plutôt que de renoncer à la foi.
Source : livres-mystiques.com
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Jeu 28 Sep 2017 - 18:36 | |
| XIV. C'EST FOLIE QUE DE RENIER LE CHRIST POUR CONSERVER RICHESSES ET HONNEURS
VINCENT : En toute bonne foi, mon cher oncle, je ne puis nier ceci. Il me semble que ceux qui auront été dépouillés au cours de l'invasion turque et qui n'auront pu sauver que leur vie, ceux-là, je pense, pourront tirer quelque vertu de leur malheur et y trouver sujet de réconfort.
Mais dans le cas qui nous occupe, ils ont encore leur fortune intacte entre leurs mains et le fait de la conserver ou de la perdre dépend d'eux et de la réponse qu'ils feront aux Turcs ; garderont-ils leur foi ou l'abandonneront-ils ? Il me paraît, mon oncle, que la tentation est bien forte, et bien peu de riches renonceront à leur fortune.
ANTOINE : Je le crains aussi beaucoup, mon cher neveu. Cette épreuve révèlera le vide du cur de ceux qui se flattent de sauver leur fortune dans un but élevé mais n'ont pas de Dieu une vision ferme, intime et profonde.
Pourtant, même à ceux-là, je poserais volontiers quelques questions. Je vous en prie, mon cher neveu, jouez le rôle d'un de ces personnages et répondez à sa place.
« Votre Seigneurie, dirais-je, (nous ne prendrons pas un homme de basse condition, ni de fortune modeste, car il me semble qu'un homme qui rejetterait Dieu pour pas grand'chose ne vaut pas la peine qu'on lui adresse la parole), Votre Seigneurie, pourquoi hésiter entre votre foi et votre fortune ? »
VINCENT : Mon oncle, je ne suis pas sûr de la pensée d'un autre, ni de la façon dont il répondrait, mais puisque vous me demandez de jouer ce rôle, voici ce que je dirais, et vous pouvez d'ailleurs le deviner : « Je ne tiens pas à perdre tous ces avantages que je détiens maintenant : richesses, biens, terres, héritage, et l'autorité que j'ai dans le pays. Toutes ces choses, le Grand Turc me permet de les conserver, et même, de les faire prospérer si je veux renoncer à la foi du Christ ; mais oui, ajouterais-je, je ne suis même pas obligé d'y mettre un tel prix, on ne me forcera pas à renoncer complètement au Christ ni à la foi chrétienne, mais seulement à la portion de cette foi qui ne s'accorde pas avec la religion de Mahomet. Il me suffirait de reconnaître Mahomet pour un vrai prophète et de servir les Turcs dans leurs guerres contre les rois chrétiens ; moyennant quoi, on ne m'empêchera pas de louer le Christ, de l'honorer, de le servir, et de le tenir pour un homme de bien ». (...)
Source : livres-mystiques.com
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| Sujet: Re: Dialogue du réconfort dans les tribulations de Saint Thomas Sam 30 Sep 2017 - 6:01 | |
| XIV. C'EST FOLIE QUE DE RENIER LE CHRIST POUR CONSERVER RICHESSES ET HONNEURS
(...)ANTOINE : Le Christ n'a pas un tel besoin de votre Seigneurie qu'il accepte de telles conventions et qu'il partage les services de votre Seigneurie avec son ennemi plutôt que de les perdre. Il vous a déjà prévenu par la bouche de saint Paul qu'il ne veut pas partager : « Quel rapport y a-t-il entre la lumière et les ténèbres, entre le Christ et Bélial ? » (2 Co., 6, 15) ; et il vous dit lui-même : « Nul ne peut servir deux maîtres » Mt., 6, 24). Il veut que vous croyiez tout ce qu'il vous a enseigné, que vous fassiez tout ce qu'il vous a ordonné, que vous vous absteniez de tout ce qu'il vous a défendu, sans aucune exception. Brisez un seul de ses commandements et vous brisez tout. Abandonnez un seul point de sa foi et vous abandonnez tout, de même que les remerciements qu'il vous adresserait pour le reste. Si vous faites avec Dieu de tels marchés, si vous décidez vous-même de ce que vous voulez bien faire pour lui et de ce que vous lui refusez, je dis que dans de tels contrats vous signez vous-même les deux parties et qu'il ne vous en saura aucun gré.
Mais écoutez bien ceci : vous pensez faire des arrangements avec les Turcs ; moi je vous dis qu'ils ne vous permettront pas de vous en tenir là ; mais, insensiblement, ils vous forceront à renier complètement le Christ et à mettre Mahomet à sa place. Quand ils vous font dire que le Christ n'est pas Dieu, ce n'est qu'un commencement. Car s'il n'est pas Dieu, il n'est pas non plus un homme de bien, puisqu'il a dit lui-même qu'il était Dieu. Non, le Christ ne veut pas être pour une part dans vos obédiences, il veut que vous l'aimiez de tout votre coeur. Il a vécu il y a quinze cents ans, pourtant il avait prévu vos pensées quinze cents ans à l'avance, Il vous a répondu : « Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et l'argent ! » (Lc., 16, 13).
Ceci est bien clair et vous devez le croire si vous avez la foi. Si vous ne le croyez pas, cette discussion est inutile, car pourquoi préféreriez-vous perdre vos biens plutôt qu'une foi que vous avez déjà perdue ? Mais si nous partons de l'idée que vous avez toujours la foi, et voulez la conserver, si, pour vous, le problème est de savoir si vous préférez perdre votre fortune plutôt que de renoncer ouvertement à Dieu, et si vous me répondez que plutôt que de perdre cette fortune vous préférez renoncer extérieurement à Dieu, je vous réponds ceci : Je passe sous silence le peu de bien que ces choses apportent au corps et le grand tort qu'elles font à l'âme et, puisque le point de départ de votre hésitation est cette promesse des Turcs de vous laisser la jouissance de vos biens si vous reniez le Christ, je vous demande, moi, comment vous pouvez vous fier à cette promesse ?(...)
Source :livres-mystiques.com
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