Quand les politiques parlent de foi ( Du Père Nicolas Buttet de la Fraternité Eucharistein en Suisse)
On demande à l’homme politique d’agir. Et même, de réfléchir avant d’agir. Et d’habitude, ils le font assez bien. On leur demande d’exercer la vertu de prudence, c’est-à-dire de discerner en toute circonstance le véritable bien et de choisir les justes moyens pour l'accomplir. On peut même aller jusqu’à découvrir chez certains une sagesse qui commande à la prudence. Une sagesse pratique pour l’action. Une sagesse philosophique pour les idées qui guident l’action. Et c’est très beau !
Reste que l’univers de l’homme et des hommes ne se restreint pas à cette seule sagesse.
Les valeurs politiques se doivent d’être accordées elles-mêmes à un ordre supérieur : celui des valeurs culturelles et spirituelles.
Il existe donc une sagesse théologique et même mystique qui surpasse la sagesse politique. Et c’est une grande sagesse que de s’en souvenir ! Je ne dis pas d’en vivre – ce qui relève du chemin et de la conscience personnelle. Non ! Simplement de s’en rappeler afin de conserver la dignité d’une intelligence qui distingue les registres du savoir ; afin surtout de garder l’humilité de l’ignorance. Car il est justement de sagesse commune que l’ignorant ignore ce qu’il ignore. Ses critères d’analyse et de réflexion seront donc enfermés dans l’étroite limite de ses connaissances partielles, et même partiales lorsqu’elles sont imprégnées de préjugés. Il manquera alors à l’ignorant l’ouverture aux vastes horizons d’une raison vraiment libre ; libérée par le fait qu’elle accepte ce qui la dépasse sans la contredire. Il lui manquera aussi la hauteur de vue qui provient des choses qui ne passent pas et qui relativisent les modes d’un temps. Il lui manquera surtout cette profondeur qui surgit d’une expérience vécue au contact de ces vérités révélées aux petits et aux humbles.
Dans les grandes civilisations humaines, on a toujours reconnu le rôle des sages et des saints. On a admiré les premiers pour la pertinence et la clarté de leur regard. On a été fasciné – mais souvent aussi exaspéré – par les seconds en raison de leurs propos qui disent ce qu’ils contemplent des mystères inaccessibles aux yeux mal dessillés. Qu’ils s’appellent Hal Halladj, Jean de la Croix ou Gandhi. Qu’ils s’appellent Jean-Paul II, Mère Teresa ou Benoît XVI.
Aussi, lorsque des politiciens - se sentant sans doute légitimé parce que leur parti porte un « C » dans son nom - se risquent à des commentaires au sujet de l’enseignement de l’Eglise sur certaines questions qui relèvent de la foi, c’est dommage. D’abord parce que c’est une erreur de confondre les domaines de César et de Dieu ; ensuite parce que c’est une faute intellectuelle de regarder avec une sagesse politique ce qui ne se scrute qu’avec la sagesse théologique ou la sagesse des saints ; enfin, parce que c’est regrettable de juger avant de chercher à comprendre.
Si les sages avaient compris que le commencement de la sagesse était l’adoration de Dieu, on pourrait dire que le commencement de l’erreur c’est la crainte de l’opinion publique.
Thibon relevait que le degré de sagesse d'un homme se mesure à ceci : plus il est sage, plus c'est l'événement, dominé et assimilé, qui prend la couleur de son âme ; plus il est insensé (au sens biblique du mot) plus c'est l'âme qui prend la couleur de l'événement et se décolore elle-même. En matière de foi, la couleur dominante n’est pas orange mais rouge ; rouge vif du sang des martyrs.
Article de Nicolas Buttet pour la rubrique Repères
du Journal Le Nouvelliste - mercredi 18 avril 2007.