Ce film n'a rien gagné (je crois) aux Oscars oû il avait pourtant recueilli quatre ou cinq nominations, mais il vaut le détour si, comme moi, vous avez un faible pour les oeuvres cinématographiques oû l'accent est mis sur la qualité des dialogues et de l'interprétation. Meryl Streep et Philip Hofmann Seymour sont tout simplement époustouflants!
Vous avez sans doute entendu parler de ce drame inspiré d'une pièce de théâtre à succès (dont une adaptation française a été jouée à Montréal il y a deux ans, mais que je n'avais pas vue). En bref, l'action se déroule en 1964 et est centrée sur une école primaire paroissiale dans le Bronx, à New-York, qui reçoit son premier élève noir en dernière année. La supérieure du couvent est une femme stricte, conservatrice et aussi attachée à des détails tels que l'usage des plumes-fontaines (versus les stylos à bille) que soucieuse de préserver la bonne tenue morale de la maison. Quitte à avoir l'air éternellement bête. Mais cette personne que tout le monde redoute, jusqu'au curé apparemment, et qui semble revêtue de tant d'autorité, est en fait (il faut porter attention aux détails pour s'en rendre compte) très consciente de sa position d'infériorité dans l'Église: son supérieur est le prêtre qui enseigne l'éducation physique, et quand il vient la voir à son bureau, elle lui cède son siège et s'asseoit devant comme si c'était lui qui la recevait.
L'aumônier de l'école est un prêtre plus jeune qu'elle, qui parle de changement, prône une approche plus décontractée de la discipline, sans s'opposer de front à la soeur, mais laissant filtrer ses idées dans les sermons qu'il donne le dimanche. Ce personnage est moins caricatural que celui de la soeur, mais c'est lui qui soulève le plus de questions car la soeur en vient à le soupçonner d'avoir abusé du nouvel élève noir. Remarquez: on n'entend jamais les mots "abus", "pédophilie" ni même "sexe" de tout le film. Tout le monde parle à demi-mots et les protagonistes se comprennent.
La soeur veut-elle sa tête simplement parce qu'elle déteste ses idées? Et lui, quand il affirme le primat de "l'amour" sur les règles sclérosées, est-ce bien celui que Notre-Seigneur nous commande d'avoir?
Le film ne fournit pas de réponses faciles. En fait, même s'il y a un dénouement, on quitte sans avoir une réponse certaine à la question de la culpabilité ou de l'innocence du prêtre (d'autant plus qu'on pourrait en venir à se demander s'il n'est pas innocent de ce dont il est soupçonné et "coupable" d'autre chose). Ce film est fascinant en ce qu'il permet de se demander ce qu'on aurait fait dans des circonstances semblables: sans preuves, mais avec la certitude qu'il se passait quelque chose, fallait-il faire comme si on ne savait pas, ou ne reculer devant rien pour obtenir le départ de ce prêtre? Ne pas se fier à la filière cléricale régulière et tout bulldozer sur son passage (on devine que la soeur en a vu passer des curés et qu'elle sait bien comment le système fonctionne)? Quitte à avoir, en fin de compte, des... doutes?
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, je n'ai pas trouvé que c'est une machine anti-catholique. En fait, l'ambiguité du texte est délibérée pour brouiller les pistes: on devrait détester la soeur revêche, mais ses principes inflexibles en même temps que sa détermination en font peut-être un défenseur admirable de l'enfance abusée; le spectateur de 2009 devrait prendre parti pour le curé qui est favorable au changement et ouvert à la société contemporaine (sans du tout tomber dans une caricature anachronique de prêtre progressiste, d'ailleurs) mais en même temps, le public d'aujourd'hui est disposé à croire le pire sur les hommes qui font ce métier. Oui, mais en 1964 ce n'était pas le cas; ce qui rendrait la soeur d'autant plus exemplaire (sans que ce soit tout à fait surprenant là non plus; ma grand-mère qui était très pieuse savait que ces choses existent). Bref, on ne sait pas! C'était donc peut-être ainsi, dans la réalité d'une autre époque, et il est bien difficile pour nous de juger, non?
... Sauf que l'auteur a été clair plusieurs fois en entrevue; ce n'est pas le scandale des prêtres pédophiles aux USA qui lui a inspiré ce texte, c'est... la guerre en Irak. Le scandale ne lui a fourni que le sujet d'une parabole, basée sur sa propre expérience d'enfant qui est allé à l'école paroissiale dans le Bronx au milieu des années 60... et qui n'a jamais été abusé. La certitude sans preuves de la soeur qui croit le prêtre coupable, c'est l'équivalent pour lui de Bush qui a convaincu les Américains que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive: une conviction répandue partout dans ce pays vers 2002, et dont aucun appel à la raison ne pouvait venir à bout. Tout comme la méfiance ou le mépris généralisé maintenant dans certains milieux à l'endroit du clergé... ce qui n'empêche pas qu'il y a réellement eu des crimes de commis, que ce soit par Saddam ou des membres du clergé. Bref, il vaudrait mieux douter... parfois.
Vous l'aurez compris: j'ai adoré. Et la dernière réplique de Meryl Streep à la fin; certains trouvent qu'elle est incohérente avec le reste du film. Mais elle va loin, plus loin qu'un premier degré de compréhension. Elle renvoie peut-être même au premier sermon du prêtre au début du film, quand on sent qu'elle l'a tout de suite pris en grippe.