Du sens, SVP!
Qu’ils croient dur comme fer aux cristaux et aux pyramides ou qu’ils se rendent à l’eucharistie chaque matin, une motivation rassemble tout ce beau monde : trouver un sens à leur vie.
Jean-Marc Labrèche, psychologue industriel chez Jacques Lamarre et associés, remarque chez ses patients une soif intense de spiritualité. «Les employés brûlés rentrent à la
pelletée dans mon bureau. Ils se sentent exploités jusqu’à la moelle par des entreprises avides de rendement. Ils cherchent à comprendre le sens de leur vie dans des milieux professionnels souvent déshumanisés.»
Robert Dutton, président de Rona, a trouvé en Dieu une boussole. «À 42 ans, je me suis retiré dans le silence pour réfléchir à des questions existentielles. Je sers à quoi? Comment puis-je vivre en entreprise en conformité avec mes valeurs spirituelles? À mon retour, je me suis acharné à bâtir une compagnie basée sur ces valeurs-là. Je ne suis pas prêt à mentir, à être injuste et à prendre des décisions d’affaires à court terme pour faire de l’argent. Les gens passent avant tout.»
L’homme d’affaires l’avoue sans détour : pour faire partie de son équipe, il faut être croyant, ou du moins en quête d’une spiritualité.
Si Robert Dutton et Silvia Ugolini parlent aussi ouvertement de leur spiritualité au travail, c’est loin d’être le cas des 75 % de Québécois croyants (sondage CROP-La Presse, 2004). Beaucoup de gens interviewés pour cet article ont requis l’anonymat. Sur la douzaine de chefs d’entreprise à qui le
Magazine Jobboom a demandé de parler de leur foi, seulement deux ont accepté de prendre la parole.
«S’afficher en tant que croyant à notre époque, surtout en entreprise, c’est nager à contre-courant, affirme Jean-Marie Sala, consultant en gestion environnementale et fervent catholique. Ça ne fait pas “moderne” de dire qu’on a la foi.»
D’abord, il y a la peur d’être perçu comme fanatique ou
flyé. La peur d’être ridiculisé par ses collègues. «La spiritualité est frappée d’un tabou, comme la sexualité l’était autrefois, explique Solange Lefebvre, professeure à la Faculté de théologie et de sciences des religions à l’Université de Montréal.
Aux États-Unis, il est malvenu de dire qu’on est non-croyant, mais, au Québec, c’est tout le contraire. Ici, on a complètement privatisé le pan spirituel : les croyances ne se partagent pas publiquement, et surtout pas au boulot.»
Les valeurs, c’est in«L’omerta règne sur la question de la spiritualité en entreprise, constate également Thierry Pauchant. Par contre, si vous questionnez les gestionnaires sur l’éthique et la gestion par les valeurs, ça passe.»
En effet. Nous avons tenté l’expérience chez le fabricant de papier Cascades, reconnu pour son approche particulière en ressources humaines. La simple évocation du mot «spiritualité» a failli bannir nos chances d’obtenir une entrevue. Mais parler des valeurs de la compagnie? Pas de problème. «On ne se préoccupe pas de spiritualité dans notre gestion, affirme Claude Cossette, vice-président des ressources humaines. Les croyances des employés relèvent du privé. On préfère mettre l’accent sur le bien-être des gens et le respect, par exemple.»
L’homme d’affaires Jean-Robert Ouimet est l’un des rares employeurs québécois à proposer un cadre de travail spirituel à ses employés. Ancien patron des Aliments Ouimet-Cordon Bleu, aujourd’hui propriétaire de Tomasso Corporation (fabricant de mets italiens surgelés), ce catholique dévoué a mis sur pied un modèle de gestion explicitement spirituel, qu’il présente d’ailleurs dans le
Livre doré (un résumé de sa thèse de doctorat consacrée aux outils de gestion qui soutiennent le bonheur humain et la rentabilité).
Rencontré au Sporting Club du Sanctuaire à Montréal, le gestionnaire n’a rien de banal. Il commence l’entrevue par une minute de recueillement. «Je défie n’importe qui de diriger une organisation pendant 40 ans comme je l’ai fait sans la présence d’une vie spirituelle au travail, lance-t-il. Sans le divin, on ne va pas loin.»
Ainsi, chez Tomasso, le bon Dieu n’est jamais loin : salles de prière, affiches à caractère «hautement spirituel» sur les murs, bénévolat dans des organismes de charité pendant les heures de travail pour les gestionnaires, prières avant les réunions du conseil d’administration…
L’homme d’affaires l’avoue sans détour : pour faire partie de son équipe, il faut être croyant, ou du moins en quête d’une spiritualité. «C’est un aspect que j’évalue en entrevue d’embauche. Autrement, la personne ne sera pas heureuse chez nous.» C’est pourquoi, en cours de processus, Jean-Robert Ouimet rencontre le candidat potentiel au restaurant, avec conjoints respectifs. Une pratique inusitée appelée «le repas à quatre». «On discute de nos voyages, de nos vacances. Et là, on tombe au cœur des valeurs familiales. À la fin de la soirée, on a une bonne idée des gens avec qui on va travailler. Ça prend l’assentiment de nos conjoints aussi.»
Et si le repas à quatre se déroulait avec un couple… gai? Silence. «À ce que je sache, aucun homosexuel ne postule chez nous. Mais ça arrivera peut-être un jour. Après tout, Dieu aime tout le monde.»
L’approche spirituelle que propose Jean-Robert Ouimet laisse bien des observateurs perplexes. À commencer par son propre fils, qui a repris les commandes des Aliments Ouimet-Cordon Bleu en se détachant de la philosophie de gestion de son père. L’affaire a d’ailleurs failli rebondir en Cour supérieure il y a deux ans. Robert Ouimet fils confiait alors au
Devoir que «la religion n’a pas sa place dans la gestion d’une entreprise commerciale».
Une opinion qu’endosse complètement Yves Casgrain, consultant en mouvements sectaires et auteur d’un guide sur les sectes. Pourtant lui-même catholique pratiquant, il estime que la spiritualité et le monde du travail sont totalement incompatibles. «Le patron pieux qui tente d’implanter ses croyances en entreprise crée une pression indue sur ses employés. Ces derniers peuvent se sentir obligés de prier pour lui plaire alors qu’ils n’en ont pas envie.»
SOURCE: www.canoe.com/artdevivre/societe/article1/2006/03/04/1472768-jm.htmlUN SEUL CHEMIN Ville de Québec - Canada