Seul dans les bois articles du journal de Lausanne Suisse 24h.31.12.2009
Pauvre et seul dans les bois
SDF | Une succession de drames a conduit Alain Schick, 50 ans, à vivre dans la forêt d’Echandens. Où il passera le réveillon, sans désespérer. Reportage.
Raphaël Ebinger | 31.12.2009 | 00:08
«Si j’avais su que vous veniez, j’aurais fait un peu d’ordre», s’excuse Alain Schick. Sur le sol de son chez-lui, les tapis sont recouverts de feuilles mortes et le paillasson est composé de deux grilles d’égout utiles à enlever la terre des chaussures. Depuis le mois de mai, le sans-domicile fixe (SDF) et ses compagnons d’infortune, six chihuahuas, sont installés dans un campement aménagé dans le bois Chuet, le long de la route de Bussigny, sur la commune d’Echandens. «Ça fait deux ans que je vis comme un romanichel, raconte le quinquagénaire au bénéfice de l’aide sociale. Ça fait deux ans que je ne trouve pas de logement.»
Sur la parcelle privée d’Echandens, le bricoleur s’est aménagé de quoi vivre le plus humainement possible. Dans un coin, ses outils sont cloués à un arbre en dessus d’une corbeille à provisions où tiennent les sachets de crème d’asperges, sauces pour les pâtes et autres boîtes de café soluble. Une tente est plantée là. «Si des amis viennent me voir, je peux les héberger. Cet été, un de mes fils (ndlr: qui est adulte) vivant en Suisse allemande y a aussi dormi quelques nuits.» Sur le côté, un Chrysler Voyager fait office de salle à manger et de dortoir pour lui et ses chiens. «J’ai demandé au garagiste de me l’amener ici en octobre, en prévision de l’hiver», précise Alain Schick.
A la place de deux sièges, entreposés dehors, il a installé un lit et une table. Un chauffage à gaz rend l’endroit supportable par grand froid. Dans son lieu de vie, l’homme a même branché une petite télévision sur la batterie de la voiture. Cette dernière n’a plus d’autorisation de circuler mais est encore en état de rouler. Son moteur fournit ainsi l’électricité nécessaire pour recharger le téléphone portable.
Une vie qui se lézarde
Son installation dans le bois à Echandens n’est que l’aboutissement d’un chemin de vie chaotique. En 2002, ce mécanicien de précision reconverti dans la construction comme serrurier perd son emploi. Puis, renversé par une voiture, il entamera sa descente aux enfers. «J’ai été hospitalisé. Les médecins ont soigné mon épaule en morceaux, mais ils ont pris conscience trop tard de l’état de mon genou. Ce qui m’a valu des béquilles pendant neuf mois.» Un cancer des os bénin, dont les crises l’empêchent de marcher, a rajouté à la difficulté de retrouver un emploi.
Après son travail, il perd son appartement. Son bailleur, qui est n’est autre qu’un membre de sa famille, résilie son contrat en mai 2008. «Dès cet instant, j’ai commencé à vivre dans ma voiture. Je passais mes nuits dans des parkings de la région lausannoise. Mais je devais souvent changer d’endroit quand les autorités se rendaient compte de ma présence. Avec le temps, on a l’habitude de s’en prendre plein la gueule.» Il trouve notamment refuge dans le parc du Censuy, à côté du stade de football de Renens, de novembre 2008 à avril 2009. «Moi et mes chiens étions moins bien qu’ici à Echandens, souligne-t-il. L’hiver dernier a été froid. En attendant de pouvoir changer la pompe à essence de ma voiture, en panne, nous étions privés de chauffage.»
Le coup de massue
Puis survient le coup de massue qui le pousse à la sédentarité. En mai dernier, se rendant compte qu’il n’a plus d’appartement, les services sociaux cantonaux lui coupent l’aide au logement. Son budget est alors amputé d’un jour à l’autre de 790 francs. «C’est ce qui m’a coulé, s’insurge Alain Schick, dépité. Il ne me reste aujourd’hui plus que les 1100 francs du revenu d’insertion. Et de cette somme, il faut encore retrancher les 150 francs que je rembourse tous les mois à mes créanciers. Autant dire que je n’ai plus les moyens de payer les frais de ma voiture.»
Il faut dès lors compter sur quelques associations pour remplir le panier des commissions en fin de mois. L’église de Chavannes-près-Renens lui offre deux jeudis par mois du pain et du fromage. Il a par contre abandonné l’idée de se nourrir à la Soupe populaire. «Ça me coûtait trop cher en essence pour faire les trente kilomètres aller-retour en boguet», se justifie-t-il.
Sa sœur lui apporte de temps en temps un jerricane d’essence. «Des copains me donnent aussi un coup de main, mais ils ne roulent pas sur l’or non plus… remarque Alain Schick. Ils me disent quand même qu’ils ne savent pas comment j’arrive à faire face.» Depuis le temps, le quinquagénaire a élevé la débrouille en art de vivre. Après avoir déposé les plaques de sa voiture, il a ainsi acheté un vélomoteur qu’il a réparé lui-même. Ce véhicule est en effet indispensable pour aller chercher de l’eau avec son bidon de 10 litres ou pour rejoindre le réseau de transports publics.
«Rester présentable»
Deux fois par semaine, son cyclomoteur lui permet aussi de se rendre au Point d’eau. Dans les locaux de l’association lausannoise, il profite de nettoyer son linge et de prendre une douche. Une activité qui lui prend une journée, puisqu’il compte 1 h 10 pour rallier l’avenue de Morges, en vélomoteur jusqu’à la gare de Bussigny, en train jusqu’à Renens, puis en bus pour terminer le voyage. «Mais il faut rester présentable», insiste Alain Schick, qui malgré la précarité, a réussi à conserver sa dignité.
Réveillon dans le bois
Une dignité qui passe aussi par un refus d’avoir honte de sa misère. Il n’hésite donc pas à inviter des amis dans son campement. «J’ai convié cinq copains pour passer Nouvel-An. Quatre ont eu un peu peur d’avoir froid, mais un a répondu positivement. Lui aussi a vécu dans la dèche.»
Au seuil de la nouvelle année, le quinquagénaire est plein d’espoirs. Même la lettre de la Municipalité signifiant qu’elle n’autorisait pas son campement n’entame pas son optimiste. Avec l’aide de la Fondation Mère Sofia, il envisage déjà son déménagement dans un camping. Mais il rêve d’emménager dans un rural où il pourrait vivre et travailler comme artisan indépendant. «50 m2 me suffiraient, estime-t-il. J’aimerais construire des éoliennes à pales internes. Un procédé encore très rare et au potentiel énergétique supérieur aux éoliennes traditionnelles.»
En attendant, dans l’humidité de la forêt, Alain Schick s’accroche sans se plaindre. «La roue va tourner, c’est une question de temps. Il y a des gens bien plus malheureux que moi», conclut-il en serrant sur le cœur un de ses petits chihuahuas.