Du bouddhisme au christianisme- Spoiler:
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TÉMOIGNAGE Soumise aux travaux forcés par les Khmers rouges de 1975 à 1979, la philosophe cambodgienne Claire Ly s’est convertie du bouddhisme au catholicisme. Et prône une voie originale.
PAR VINCENT PELLEGRINI
La professeure de philosophie Claire Ly, cambodgienne bouddhiste convertie au catholicisme, a livré un témoignage personnel poignant dimanche dernier à
Saint-Maurice lors des Rencontres SaintNicolas et Dorothée de Flüe.
Claire Ly vit en France depuis 1980 où elle s’est réfugiée après avoir passé quatre ans dans les camps de «travail et de purification» des Khmers rouges (elle a perdu une grande
partie de sa famille dans le génocide). Claire Ly enseigne actuellement le bouddhisme
à l’Institut de Sciences et Théologie des Religions de Marseille.
Son premier livre, «Revenue de l'enfer», publié aux Editions de l'Atelier en 2002, évoque
son parcours.
La loi du karmaPour les asiatiques, le discours le plus fort est celui qui se base sur l’expérience
et la sagesse acquise au fil des ans. Au Cambodge, quand on salue quelqu’un,
on place d’ailleurs ses mains jointes d’autant plus haut sur son front que la personne
saluée est âgée. C’est ce témoignage d’un long vécu que Claire Ly, aujourd’hui
âgée de 63 ans, a choisi. Et son expérience est à la fois terrible et porteuse
d’espérance. Elle a en effet souffert dans son pays, le Cambodge, du massacre de
20% de la population organisé par les Khmers rouges qui voulaient «une société
nouvelle». Ils l’ont «épurée» de tous les intellectuels et notables. Claire Ly était professeure
de philosophie. Son mari, son père, ses deux frères et son beau-père ont été fusillés dès le premier jour.
Elle a été envoyée dans un camp de travaux forcés avec son fils de 3 ans et alors qu’elle était enceinte de trois mois. Elle a ainsi été confrontée à la question lancinante d’un
mal injuste et disproportionné. Elle a expliqué: «J’étais bouddhiste et l’explication
était donc la loi du karma – de rétribution des actes – disant qu’un acte posé va forcément
amener un effet positif ou négatif selon la nature de cet acte.
Les Khmers rouges ont instrumentalisé cette loi du karma pour dire aux détenus qu’ils méritaient leur sort, qu’ils récoltaient les effets d’actes mauvais posés avant. C’était terrifiant, ils rendaient les victimes responsables de leur mort. Il n’y avait même plus de bourreau.
Comme bouddhiste j’ai donc vécu un échec spirituel important.»
Le bouc émissaireQue va dès lors faire Claire Ly dans ce camp inhumain des Khmers rouges où
elle est restée prisonnière de 1975 à 1979? Elle se souvient: «Je me suis révoltée et j’ai
introduit une rupture dans la loi du karma. Mais dans le bouddhisme, quand on refuse d’endosser le mal, les choses deviennent très compliquées.Et aucune force
morale ne peut tenir face à la cruauté des Khmers rouges.
Moi j’ai tenu par ma haine. Mais comme le bouddhisme demande de ne pas répondre à la violence par un sentiment mauvais dans le coeur – ce serait poser des actes mauvais qui rendraient la vie suivante encore plus misérable – j’ai utilisé une porte de sortie que donne le bouddhisme.
Faute de pouvoir extérioriser cette haine, j’ai construit un objet mental, bouc émissaire sur lequel j’ai jeté tout ce qu’il y avait de mauvais et de haine en moi. Et cet objet mental était le
Dieu des occidentaux car l’Occident était coupable du marxisme des Khmers rouges
qui n’est pas né dans la culture asiatique, mais est une hérésie de la culture judéochrétienne. J’ai vécu deux ans avec ce bouc émissaire mental.»
Le «Dieu des occidentaux»Mais un chemin se fait dans cet enfer. Claire Ly comprend peu à peu que l’explication
du karma ne répond pas à l’énigme du mal. «Je me suis alors créée un espace
paradoxal de liberté intérieure qui m’a permis de vivre l’irruption du Dieu des occidentaux.
» Elle témoigne: «J’ai compris dès 1977 que le Dieu des occidentaux n’était pas
seulement mon bouc émissaire mental, mais qu’en fait il m’accompagnait dans
ma haine et ma colère. J’avais ce sentiment d’être accompagnée sans avoir les mots
pour en parler.Cela s’est fait dans le silence et ce fut l’irruption de quelque chose d’invisible
dans ma vie que je n’arrivais même pas à pressentir. Je n’ai pas trouvé pour autant
le paradis et je ne suis sortie de l’enfer khmer qu’en 1979.
Cependant, dès 1977 j’ai vécu l’ouverture fraternelle à la souffrance des autres.»
Un nom sur la divinitéLorsqu’elle arrive en 1980 comme réfugiée en France, Claire Ly ne met toujours
pas de nom sur ce Dieu des occidentaux qui l’a mystérieusement accompagnée
dans les camps khmers.
«C’est une rencontre fortuite avec l’Evangile qui m’a donné des mots pour décrire cette première rencontre datant de 1977. Je suis alors arrivée à faire le récit de mon vécu.En tombant par hasard sur l’encyclique de Jean Paul II traitant de la miséricorde.
La professeure de philosophie que j’étais a voulu vérifier l’argumentation et pour cela il me fallait le livre de référence, les Evangiles... C’est alors que j’ai rencontré
Jésus de Nazareth.
Je me suis dit tout de suite: c’est un grand maître, aussi grand que Bouddha. J’ai compris ensuite que c’était lui qui m’avait rendu ma liberté, sa liberté. Il m’a donné aussi l’audace d’exposer ma souffrance dans le sens d’une offrande. »
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