La prudence du langage

J'ai gardé le silence... garder le silence, quelle drôle d'idée...mais c'est le silence qui nous garde !" (L'abbé Donissant dans le "Journal d'un curé de campagne" de G. Bernanos


Evangile de Jésus-Christ selon saint Marc 7,14-23.

Jésus appela la foule et lui dit: "Ecoutez-moi tous, et comprenez bien. Rien de ce qui est extérieur à l'homme et qui pénètre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l'homme, voilà ce qui rend l'homme impur. »

Quand il eut quitté la foule pour rentrer à la maison, ses disciples l'interrogeaient sur cette parole énigmatique.
Alors il leur dit : « Ainsi, vous aussi, vous êtes incapables de comprendre ? Ne voyez-vous pas que tout ce qui entre dans l'homme, en venant du dehors, ne peut pas le rendre impur, parce que cela n'entre pas dans son coeur, mais dans son ventre, pour être éliminé ? » C'est ainsi que Jésus déclarait purs tous les aliments.
Il leur dit encore : « Ce qui sort de l'homme, c'est cela qui le rend impur. Car c'est du dedans, du coeur de l'homme, que sortent les pensées perverses : inconduite, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. Tout ce mal vient du dedans, et rend l'homme impur. »

Cela ne m'étonne pas que les disciples n'aient pas compris - mais, si les disciples eux-mêmes n'ont pas compris, pourquoi donc enseigner la foule toute entière avec des énigmes ? Pourquoi dire toutes ces choses en sachant que peu de gens seront en mesure de donner une interprétation logique ? Je crois que le Seigneur applique, en même temps qu'il enseigne, une méthode pédagogique. Il éveille l'attention, la curiosité, l'intelligence. La foule n'a pas compris, mais elle a écouté. Il suffit ensuite de se répéter les mots et de creuser l'énigme: simple question de curiosité. Et j'ajoute encore: dans le cas précis, il n'était sans doute pas opportun, pas encore, de dire: "Vous bien manger du porc et toutes sortes de fruits et de légumes. Il n'y a aucune nourriture - mais ceci, même Pierre n'est pas disposé à l'accepter - comme cela se voit dans le livre des Actes des Apôtres, chapitre 10:

09 Le lendemain, tandis qu'ils étaient en route et s'approchaient de la ville, Pierre monta sur la terrasse de la maison pour prier vers midi. Il se mit à avoir faim et voulut prendre quelque chose. Pendant qu'on lui préparait à manger, il tomba en extase. Il vit le ciel ouvert et un objet qui descendait : on aurait dit une grande toile, et cela se posait sur la terre par les quatre coins. Il y avait dedans tous les quadrupèdes et tous les reptiles de la terre et tous les oiseaux du ciel. Et une voix s'adressa à lui : « Allons, Pierre, immole ces bêtes, et mange-les ! » Pierre dit : « Certainement pas, Seigneur ! Je n'ai jamais mangé aucun aliment interdit ou impur !» Une deuxième fois, la voix s'adressa à lui : « Ce que Dieu a déclaré pur, toi, ne le déclare pas interdit. » Cela recommença une troisième fois, puis aussitôt l'objet fut emporté au ciel.

(Dans la suite du récit, c'est le centurion Corneille qui donnera à Pierre l'explication de sa vision. Pierre se rendra chez ce païen que les Juifs ne pouvaient fréquenter et rester purs... et tous recevront l'Esprit Saint. Devant cette manifestation de la volonté du Père, Pierre réunira les apôtres pour leur faire savoir que désormais, les non Juifs devaient être accepté dans les assemblées chrétiennes en même temps et au même titre que les convertis du peuple d'Israël.)

Que dire du second élément de l'énigme ? Ce qui sort de la bouche de l'homme, c'est cela qui a le pouvoir de le le rend impur devant Dieu. Ce sont les paroles qui prennent naissance dans un coeur corrompu et sortent par la bouche qui "polluent" l'être. Si je cherche un exemple, une référence dans ma propre histoire, je retrouve les mesonges que l'on m'a donnés en matière d'explication. Je me souviens que l'on m'a dit: "La séduction est un art". Mais dans tout dictionnaire, au mot séduction, on lit "tromperie". Les moqueries, les insultes, les sous-entendus, les accusations voilées, les sourires égrillards, les proverbes tentateurs, les blasphèmes sur la vie, les trahisons subtiles de la vérité, les "oui-mais-non"... oui, c'est un fait: tout cela procède d'un coeur mal disposé, menteur, possessif, desctructeur.

Ce qui surprend un peu, c'est que Jésus, plutôt que de mentionner tout le mal que peut provoquer des paroles trompeuses et méchantes, il ne le mentionne pas ici. Il semble ne pas se préoccuper des victimes, de la répercussion négatives de certains mots qui ont le pouvoir de corrompre le prochain. Jésus dit seulement: c'est le fait de laisser s'échapper de telles pensées, de leur donner une forme sensible par la parole, c'est cela qui rend l'homme impur. En réalité, Jésus connaît le secret des coeurs et il a pitié des victimes. Mais il remonte à la source du mal. Et je découvre, tout de même, que l'homme qui a de mauvaises pensées (et tout le monde en a) du moment qu'il ne les extériose pas, qu'il se garde sous contrôle et ferme sa bouche, il ne commet pas de faute, mais au contraire, son silence fera de lui l'objet de la miséricorde divine.... et après avoir compris cela, on comprend beaucoup mieux le silence monastique !

Bonjour,

boisvert a écrit:

[b]l'homme qui a de mauvaises pensées (et tout le monde en a) du moment qu'il ne les extériorise pas, qu'il se garde sous contrôle et ferme sa bouche, il ne commet pas de faute

Mais alors, que signifie "pécher en pensée" (Je Confesse à Dieu : "... que j'ai péché en pensée, en parole, par action et par omission") ?

Bonjour Cessounette,

Le péché en pensée, c'est la mauvaise que l'on entretient. La pensée qui nous vient de prime abord n'a pas de poids moral, tant qu'on la repousse si, à la lumière de l'Évangile, elle est mauvaise. Pécher en pensée, c'est entretenir une pensée mauvaise et y consentir : par exemple, commettre l'adultère en pensée (dans son coeur) comme Jésus en fait mention. Nous ne pouvons contrôler toutes les pensées que le démon peut nous inspirer par le biais de notre imagination, voilà pourquoi, elles n'ont pas de poids moral dans l'instant où elle "monte en nous". C'est de l'entretenir qui est dangereux : par exemple, la critique du prochain qu'on renchérie secrètement...

Fraternellement,
Hélène

Merci, Hélène, pour ces précisions. En effet, nous pouvons parfois être attaqués par de vilaines pensées, même dans les moments où nous prions. Mais ne pas admettre ces pensées, les renvoyer résolument, c'est ce qui nous sauve du péché.

A propos de cet Evangile, où Jésus s'exprime de manière énigmatique, j'ai songé que ce texte doit être mis en rapport avec une autre Parole, qui dit: "Races de vipères, comment pourriez-vous dire de bonnes choses, méchants comme vous l'êtes ? Car c'est de l'abondance du coeur que la bouche parle.L'homme bon tire de bonnes choses de son bon trésor, et l'homme méchant tire de mauvaises choses de son mauvais trésor.12Je vous le dis : au jour du jugement, les hommes rendront compte de toute parole vaine qu'ils auront proférée.Car par tes paroles tu seras justifié, et par tes paroles tu seras condamné. (Matthieu chapitre 12)

Comme j'y réfléchissais encore, une chose m'est apparue: Jésus pose que c'est le coeur d'abord qui doit se purifier. Mais Il n'accuse pas la pensée, Il ne dit rien de l'intelligence. Et, du moins en ce qui me concerne, c'est très important. C'est ce qui me permet de dire que ni le degré d'intelligence, ni le niveau de connaissances acquises, ne sont remis en question. Et cela me dit quelque chose de nouveau sur l'homme: c'est le coeur, ce sont "les trilpes" (les entrailles) qui gouvernent l'homme. L'intelligence et la connaissance ne viennent qu'ensuite. Un homme bon fera un bon usage de son intelligence et de l'enseignement qu'il a reçu, et un homme mauvais fera un usage mauvais de son intelligence et de ses connaissances.

D'où je déduis encore que les hommes se trompent souvent lorsqu'ils élèvent les hommes en rapport avec leur intellect et leur science. Cela veut dire, encore, que pouvoir citer les Ecritures de manière systématique n'est pas forcément le signe d'une grande foi; à l'inverse, celui ou celle dont les péchés procèdent d'un "excès de coeur" que d'un calcul brillant plutôt que d'une connaissance détournée (ou ignorée) seront moins jugés que les autres.

Une fois encore, le Christ remet donc en question "les sages et les intelligents", tandis qu'Il élève "les petits et les simples"..